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tout d’abord, et lorsqu’il parlait, ses bouffonneries, ses saillies plaisantes, débitées avec la verve méridionale, portaient l’hilarité à son comble. Coiffé d’un vieux casque rouillé, fêlé, bossué, orné d’une touffe de plumes d’oie à demi brisées, la poitrine couverte d’une cuirasse non moins rouillée, non moins fêlée, non moins bossuée que son casque, Gauthier-sans-Avoir portait aussi la croix rouge à la manche gauche de son pourpoint rapiécé ; chaussé de peaux de mouton attachées autour de ses longues jambes de héron avec des cordes, se tenait aussi triomphant sur son maigre cheval noir au poil hérissé comme celui d’un bourriquet (il l’appelait héroïquement Soleil-de-Gloire), que s’il eût enfourché un fringant dextrier de bataille ; sa longue épée à fourreau de bois (il l’avait héroïquement surnommée la Commère-de-la-Foi) pendait à son baudrier de cuir. À son bras gauche il portait un bouclier de fer-blanc couvert de peintures grossières, l’une, occupant la partie supérieure de cet écu, représentait un homme vêtu de haillons, bissac au dos, bâton de voyage en main, ce pauvre diable partait pour la croisade, ainsi que l’indiquait la croix d’étoffe rouge figurée sur son épaule ; la peinture inférieure du bouclier représentait ce même homme, non plus hâve et maigre, non plus couvert de guenilles, mais splendidement habillé, crevant d’embonpoint et étendu sur un lit couvert d’étoffe pourpre, à côté d’une belle Sarrasine, sans autre vêtements que ses colliers et ses bracelets ; un Sarrasin, coiffé d’un turban et piteusement agenouillé, versait le contenu d’un coffre rempli d’or au pied du lit où le croisé s’ébattait avec sa compagne. La crudité même de l’idée qu’exprimaient ces peintures grossières devait frapper vivement l’esprit naïf et crédule des multitudes. À la suite de Coucou-Pietre et de Gauthier-sans-Avoir venait une foule d’hommes, de femmes, d’enfants, serfs ou vilains, mendiants, vagabonds, prostituées, voleurs, ces derniers reconnaissables à leurs oreilles coupées, ainsi que les meurtriers, dont quelques-uns, par ostentation sanguinaire, ornaient leur poitrine d’un morceau de toile noire où se voyaient figurées en blanc, une