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prises souvent leur devenaient funestes. Par sa construction, le cachot de Bezenecq-le-Riche facilitait cet espionnage ; de plus, une dalle de trois pieds carrés, de deux pouces d’épaisseur, scellée sur une forte planche de chêne à charnière, formait une espèce de porte revêtue de pierre, invisible à l’intérieur du sombre réduit, mais facile à ouvrir du dehors ; le seigneur se réservait ainsi un accès dans ces lieux souterrains, même à l’insu des habitants du château. Au-dessus de cette issue était sculpté en dedans du cachot le masque hideux dont la vue avait effrayé la fille du marchand ; les deux yeux et la bouche de cette figure de pierre, troués dans toute l’épaisseur du mur, extérieurement creusé en forme de niche, permettaient à l’espion posté dans cette cachette d’apercevoir les prisonniers et d’écouter leur entretien. Ainsi, quelques heures auparavant, Fergan-le-Carrier, montant à la lueur de sa mèche d’étage en étage jusqu’à la tourelle d’Azenor, avait entendu la conversation de l’évêque de Nantes et de Yéronimo, légat du pape ; puis, plus tard, celle du bourgeois de Nantes et de sa fille. Les fugitifs se trouvaient au niveau du cachot de Bezenecq, lorsque soudain jaillirent à travers les ouvertures du masque de pierre des rayons lumineux dont le foyer se trouvait dans l’intérieur de la prison. Fergan précédait son fils et Azenor, il s’arrêta, entendant des éclats de rire rauques, effrayants comme ceux d’un fou ; le serf regarda par les trous percés à l’endroit des yeux du masque, et voici ce qu’il vit aux lueurs d’une lanterne posée à terre : deux cadavres nus suspendus, l’un par le cou à la potence de fer scellée dans la muraille, l’autre par le flanc au croc de fer ; le premier, raidi, horriblement distendu, disloqué, par le poids énorme de la pierre attachée à ses pieds ; le second, accroché par les chairs au croc aigu qui pénétrait dans les entrailles, avait le buste renversé en arrière et les bras ballants comme les jambes. Ces deux victimes, enlevées peu d’heures auparavant, lors du passage d’une nouvelle troupe de voyageurs sur les terres du seigneur de Plouernel, et amenées dans cette prison, mieux garnie que les autres en instruments de supplice, n’a-