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— Vous le voyez... nous sommes perdus... il n’y a plus d’espoir ! — s’écria la jouvencelle, dont les sanglots éclatèrent ; — la mort... une mort affreuse nous attend ! — Et Isoline, dont les dents se heurtaient d’épouvante, montra du geste à son père les instruments de torture qui garnissaient le cachot ; puis, cachant son visage entre ses deux mains, elle poussa des gémissements convulsifs.

— Isoline ! — reprit Bezenecq d’une voix suppliante et désolée, — ma bien-aimée fille... entends la raison : tes terreurs sont exagérées... l’aspect de ce souterrain t’épouvante. Hélas ! je le comprends ; mais, je t’en conjure, raisonnons un peu, voyons : Lorsque j’aurai souscrit d’avance à tout ce que le seigneur de Plouernel peut exiger de moi ? Lorsque j’aurai consenti à me dépouiller pour lui de tout ce que je possède au monde ? dis ? que veux-tu qu’il me fasse ? À quoi lui servirait de me torturer ? Il n’a pas contre moi de haine personnelle ; il en veut à mes biens, je donnerai tout, absolument tout, pourquoi nous tuerait-il ? Quand je m’afflige du châtiment qui me frappe, je parle de notre ruine...

— Bon père... vous voulez me rassurer...

— Certainement ! notre sort n’est-il pas assez malheureux déjà ? pourquoi assombrir encore la réalité ? J’espérais te doter richement, te laisser plus tard mes biens, qui auraient assuré le bonheur de tes enfants... et je vais être dépouillé de tout ! à cinquante ans passés, me voici devenu aussi pauvre qu’un serf, réduit à te voir partager ma pauvreté, toi, mon Dieu ! toi, pour qui j’avais travaillé avec tant d’amour !

— Ah ! si le seigneur de Plouernel nous accordait la vie... j’aurais peu de souci de ces richesses que vous regrettez pour moi.

— Et je n’aurai pas moins de courage que toi ! — dit Bezenecq en serrant tendrement entre les siennes les mains de sa fille, — je me figurerai avoir placé tout mon argent à bord d’un vaisseau et que le vaisseau a péri, voilà tout ; enfin, cela aurait pu arriver, n’est-ce pas ? et en ce cas, me serais-je laissé abattre ? me serais-je lâchement ré-