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— Va donc persuader les loups et les tigres, — reprit le moine en haussant de nouveau les épaules ; — non, non ! la terreur, la terreur, toujours la terreur ! Peuple ou homme, celui qui conteste à l’Église son dogme ou sa divine infaillibilité est hérétique, il attente à notre pouvoir ; ce peuple ou cet homme devient, par son hérésie, aussi dangereux pour moi qu’un tigre ou qu’un loup ! je l’extermine, parce qu’il attente à l’autorité absolue que je dois exercer sur les rois et les nations, moi, prêtre, revêtu d’un caractère divin, infaillible !

Soit qu’il fût frappé du raisonnement du moine romain, soit qu’il ne voulût pas continuer cette discussion, l’évêque de Nantes, après un moment de silence reprit, en souriant avec mélancolie : — Stoïques comme les philosophes de l’antiquité, au moment de subir la torture et la mort, nous causons de questions de dogme !

— Ah ! tu crois ces questions étrangères à notre position actuelle ?

— Quoi ! elles auraient trait à notre position actuelle, à nous, prisonniers du comte de Plouernel ?

— Oui.

— Yéronimo, je ne te comprends pas.

— Réponds, de nos jours, pour vingt abbés ou évêques souverains dans leurs évêchés ou dans leurs abbayes, n’y a-t-il pas cent duks, comtes, marquis ou seigneurs souverains dans leurs seigneuries ?

— Hélas ! c’est la vérité.

— Une grande partie des biens des seigneurs enrichis par les donations sacriléges de cet infâme Karl Martel n’était-elle pas revenue entre les mains du clergé lors de la terreur qu’inspirait aux peuples la fin du monde attendue l’an 1000 ? terreur habilement fomentée jusque-là par l’Église, puis prolongée jusqu’en l’année 1033, sous prétexte que la fin du monde ne devait point arriver mille ans après la naissance du Christ, mais mille ans après sa résurrection ?

— C’est encore la vérité ; les seigneurs épouvantés ont, pendant plus d’un demi-siècle, abandonné à l’Église la plupart de leurs biens,