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sinistre comme une tombe, j’étouffe sous ces voûtes de pierre, et quand je sors de ce tombeau, toujours le même pays, toujours le même aspect. Il n’est pas une maison, un arbre de ma seigneurie que je ne connaisse. Ah ! si grande que soit une cage... c’est toujours une cage !

— Hé ! sors-en, de ta cage ! loup stupide et farouche !

— Tu me conseilles cela pour que l’on crie au loup ! et qu’on m’assomme ! d’ailleurs où veux-tu que j’aille ? Je suis entouré d’ennemis ! Souverain ici, que serais-je ailleurs ? et puis, en mon absence, les autres seigneurs, que je contiens à peine par mes armes, s’abattraient sur mes domaines comme une volée de vautours ! Enfer ! je suis attaché à ma seigneurie comme mes serfs à la glèbe !

— Ton sort est celui de tous tes pareils.

— Mais ce sort ne leur pèse pas comme à moi. Non, non, tu m’as ensorcelé ! il y a quelques années, du vivant de ma femme Hermengarde, j’aimais la guerre, j’attaquais mes voisins autant pour le plaisir de guerroyer que pour m’emparer de leurs terres ou piller leurs châteaux ; et lorsque, après avoir surpris une troupe de marchands revenant de quelque foire, la bourse bien garnie, je rentrais au château avec mes hommes chargés de butin, ou emmenant quelques riches otages que l’on torturait pour en obtenir rançon, j’étais content, je soupais, je m’enivrais avec joie ; et après une nuit passée avec quelqu’une de mes serves, j’entendais la messe et je partais pour la chasse. — Puis, après un moment de silence, le seigneur de Plouernel ajouta en soupirant et d’un air pensif : — Ah ! c’est qu’en ce temps-là j’étais bon catholique ! je pratiquais la foi de mes pères, je ne manquais jamais la messe quotidienne, chaque matin mon chapelain m’absolvait des choses de la veille, et à chaque entreprise il bénissait mes armes ; tandis qu’aujourd’hui, par tes maléfices, je suis devenu un païen !... un vrai païen !

— Un païen ! toi qui portes sous ton haubert trois ou quatre reliques pillées par toi dans les chapelles de tes voisins !