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lenteur prudente ; Marthe et sa fille, penchées à leur fenêtre, suppliaient Guyrion de renoncer à cette lutte dangereuse, lorsque soudain un nouveau personnage à barbe et cheveux blancs, vêtu, comme le jeune marinier, monta derrière lui sur le chariot, et dit en mettant la main sur l’épaule de Guyrion : — Mon fils, ne t’expose pas à la colère de ces soldats ; — puis au moment où Guyrion se retournait très-surpris de la présence de son père, celui-ci, d’un geste d’autorité, abaissant le croc dont le nautonnier était armé, dit au comte de Paris : — Roth-bert, j’arrive à l’instant du port Saint-Landry, j’apprends ce qui s’est passé : mon fils a cédé à l’impétuosité de son âge, il a eu tort ; mais tes hommes aussi ont eu tort de vouloir frapper à coups de lance un pauvre serf inoffensif. Maintenant nous allons, moi, mon fils et nos voisins, pousser à la roue pour retirer le chariot de l’ornière et te faire place ; l’on aurait dû commencer par là. — Se retournant alors vers son fils qui lui obéit à regret : — Allons, Guyrion, descends du chariot, descends !

Les paroles sensées du vieux nautonnier ne parurent pas apaiser la colère du comte de Paris, car il parla bas à ses hommes, tandis que, grâce aux efforts d’Eidiol, de Guyrion et de plusieurs de leurs voisins qui poussèrent à la roue, le chariot fut retiré de l’ornière et rangé le long des maisons ; ainsi le passage devint libre devant Roth-bert et ses cavaliers ; mais tandis que l’un d’eux tenait en main les brides des chevaux de ses compagnons, ceux-ci, au lieu de se remettre en selle, se précipitèrent sur Eidiol et sur son fils, qui, succombant à cette attaque inattendue, furent, sans que leurs voisins osassent leur porter secours, jetés à terre et maintenus par les hommes du comte, au grand effroi de Marthe et d’Anne-la-Douce. Toutes deux, voyant le vieux nautonnier et son fils ainsi traités, quittèrent précipitamment leur fenêtre, et sortant de leur maison, se jetèrent suppliantes aux pieds de Roth-bert, demandant la grâce des prisonniers ; mais Eidiol fronçant le sourcil, s’écria : —Debout, ma femme, debout, ma fille ! rentrez au logis ! Marthe et Anne n’osèrent déso-