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d’armes, à la fauconnerie, à la chapelle, à la boulangerie, à la forge, et à plusieurs autres ateliers, entre autres à celui des monnaies (le comte de Plouernel battait monnaie comme les autres seigneurs féodaux, et, comme eux, la fabriquait à sa guise). Au centre de cette cour se dresse le donjon principal ; ce bâtiment carré, de plus de cent pieds de hauteur, couronné d’une plate-forme d’où l’on découvre au loin le pays, est assis sur trois étages de cachots souterrains, entourés d’un fossé profond rempli d’eaux de sources servant aussi de citerne. Ce donjon semble ainsi s’élever du milieu d’un puits gigantesque où serait enfouie la moitié de cette construction massive, sa partie supérieure s’élevant seule au-dessus du revêtement du fossé, sur lequel s’abaissait un pont-levis ; lorsqu’il se relevait au moyen d’énormes chaînes, il masquait et renforçait la porte du donjon ; de rares et étroites fenêtres irrégulièrement percées sur ses quatre pans et presque aussi étroites que des meurtrières, donnaient un jour ténébreux aux divers étages et au rez-de-chaussée. La pierre de tous ces bâtiments, noircie par les intempéries de l’air et par la vétusté, rendait plus sinistre encore l’aspect de cette forteresse.

Ô fils de Joel ! que de sueurs, que de larmes, que de sang a coûté aux vilains et aux serfs de notre race la bâtisse de ces grands repaires seigneuriaux ou de ces immenses cathédrales qui couvrent aujourd’hui le sol de la Gaule ! Hélas ! nos générations en sont venues à envier l’esclavage de nos pères lors de la conquête de Clovis ; du moins ils n’avaient à bâtir, sous le bâton des évêques ou sous l’épée des Leudes, que des basiliques de bois ou de vastes Burgs de charpente à assises de pierre, selon la mode germanique ; Burgs pareils à celui où Neroweg, comte du pays d’Auvergne (il y a six siècles de cela), menait si joyeuse vie avec ses compagnons de guerre et son saint patron l’évêque Cautin, jusqu’au jour où, blessé à mort par notre aïeul Karadeuk-le-Bagaude, le comte vit flamber au loin les débris de sa demeure incendiée par les Vagres de Ronan. Oui, en ces temps heureux, une année ou deux d’écrasant labeur suffisaient à édifier un