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rées ; lorsque nous aurons payé aux péagers du seigneur de Plouernel le droit de librement circuler sur les routes et de traverser ses bourgs et ses villages, qu’aura-t-il à réclamer de nous ? Est-ce que nous sommes ses serfs, ses vilains ?

— Vous, homme à barbe grise, pouvez-vous dire de telles choses ? — reprit Simon-le-moine. — Est-ce que ces seigneurs endiablés se soucient du juste et de l’injuste ?

— Mais moi, je m’en soucie, fort ! — reprit Bezenecq-le-Riche ; — si le seigneur de Plouernel me violentait, moi bourgeois de Nantes, j’en appellerais à Wilhelm IX, duc d’Aquitaine, dont relève le seigneur de Plouernel, de même que Wilhelm IX relève de Philippe Ier, roi des Français.

— Et ce serait en appeler du loup au tigre, — reprit Simon-le-moine en haussant les épaules ; — y pensez-vous ? En appeler à Wilhelm IX, duc d’Aquitaine, ce scélérat qui voulut, le poignard sur la gorge, forcer Pierre, évêque de Poitiers, à lui donner l’absolution de ses crimes ! Wilhelm ! cet adultère qui, après des milliers de crimes pareils, a enlevé Malborgiane, femme du vicomte de Châtellerault, grande impudique, dont il ose porter le portrait peint sur son bouclier. Wilhelm ! cet impie, qui osa répondre à Gérard, évêque d’Angoulême, qui lui reprochait ce nouvel adultère : « Évêque, je renverrai Malborgiane lorsque tu friseras tes cheveux ! » Raillerie scélérate, puisque le vénérable prélat était chauve... Wilhelm ! cet abominable débauché, qui veut, dit-il, fonder à Poitiers une abbaye de filles perdues, dont l’abbesse serait la plus forcenée ribaude du Poitou. Wilhelm ! ce sacrilège ! qui, une nuit de Pâques, entendant un sermon sur la résurrection de notre Sauveur Jésus-Christ, s’écria en pleine église : « Fables ! mensonges que tout cela ! » « — Si ce sont des mensonges, — lui dit le prédicateur, — pourquoi rester dans le saint lieu, seigneur duc ? » « — Pour y regarder les jolies femmes, » — répondit ce damné (Q). Tel est donc l’homme à qui l’on veut appeler des violences du seigneur de Plouernel !