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ment embrasser son enfant à son aise ! — La jeune fille, alors, par un mouvement rempli de grâce, jeta ses deux bras sur les épaules de son père, et avança son frais visage tellement près de Bezenecq qu’il n’eut qu’à tourner la tête pour baiser la jouvencelle au front et sur les joues ; ce qu’il fit à plusieurs reprises avec un bonheur inexprimable. Pendant ce tendre échange de paroles et de caresses entre le marchand et sa fille, les voyageurs, avant de s’engager dans l’une des deux routes qui s’offraient à eux, s’étaient réunis au milieu du carrefour afin de se concerter sur leur choix ; elles conduisaient également à Angers ; mais l’une, celle qu’indiquait le poteau surmonté d’un serpent-dragon, faisant un long circuit, était d’une longueur double de l’autre. Chacun de ces chemins ayant ses avantages et ses inconvénients, plusieurs voyageurs insistaient pour que l’on prît la route du poteau des trois serres d’aigle ; Simon, le moine dont le capuchon rabattu cachait presque entièrement les traits, s’efforçait, au contraire, d’engager ses compagnons à prendre l’autre chemin. — Mes chers frères ! je vous en conjure ! — s’écriait Simon, — croyez-moi... ne passez pas sur les terres du seigneur de Plouernel... On l’a surnommé Pire-qu’un-Loup, et ce monstrueux scélérat justifie son surnom... Chaque jour l’on parle des voyageurs qu’il arrête et dévalise à leur passage sur ses terres.

— Mon cher frère, — reprenait un citadin, — je sais comme vous que le châtelain de Plouernel est un terrible homme, et que son donjon est un terrible donjon... Plus d’une fois, du haut des remparts de notre cité de Nantes, nous avons vu les gens du comte piller, incendier, ravager le territoire de notre évêque, avec lequel il était en guerre pour la possession de l’ancienne abbaye de Meriadek.

— Cette abbaye où il se fit un si prodigieux miracle, il y a quatre cents ans et plus ? — dit un autre bourgeois. — Sainte Méroflède, abbesse de ce monastère, sommée par les soldats de Karl-Martel de leur céder la place, invoqua le ciel, et ces mécréants, écrasés sous une pluie de pierres et de feu, furent noyés dans des flots de soufre