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— et elle ajouta en souriant tristement, faisant ainsi allusion à sa laideur et à sa difformité : — Je n’ai pas à craindre d’être enlaidie par une cicatrice.

Ces mots affligèrent Fergan ; il crut que Jehanne-la-Bossue pensait que belle, il l’eût traitée moins brusquement ; aussi reprit-il d’un ton d’affectueux reproche : — Est-ce qu’à part quelques emportements de mon caractère, je ne t’ai pas toujours traitée comme la meilleure des épouses ?

— Cela est vrai, et ma reconnaissance est grande.

— Ne t’ai-je pas librement prise pour femme ?

— Oui, et cependant tu pouvais choisir parmi les serves de la seigneurie une compagne qui, comme moi, n’eût pas été contrefaite.

— Jehanne, — reprit le carrier avec une sombre amertume, — si ton visage eût été aussi beau que ton cœur est bon, à qui aurait appartenu la première nuit de nos noces ? À Neroweg-Pire-qu’un-Loup ou à ses louveteaux !

— Hélas ! Fergan, du moins ma laideur nous aura épargné la honte...

— La femme de Sylvest, un de mes aïeux, pauvre esclave des Romains comme nous sommes serfs des Franks, échappa aussi au déshonneur en se défigurant ! — pensait le carrier en soupirant. — Ah ! depuis des siècles, esclavage et servage pèsent sur notre race... Viendra-t-il jamais le grand jour de l’affranchissement prédit par Victoria-la-Grande ?

Jehanne voyant son mari plongé dans ses réflexions lui dit : — Fergan, réponds-moi, je t’en supplie, persistes-tu à vouloir aller au château ?

— Jehanne, te rappelles-tu ce que Perrine-la-Chèvre nous a raconté, il y a trois jours, au sujet de notre enfant ?

— Oui. Elle avait, selon son habitude, conduit ses chèvres sur les hauteurs les plus escarpées du grand ravin ; de là, elle a vu un des cavaliers du seigneur comte de Plouernel sortir au galop d’un taillis