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sera pire qu’un loup pour vous, ramassis de fainéants, de voleurs et de traîtres ! Et moi, je vous mangerai jusqu’à la peau, vilains ou serfs, lorsque vous frauderez les droits de votre seigneur ! Quant à Fergan, ce beau diseur, je le retrouverai, sinon aujourd’hui, un autre jour, et m’est avis qu’il fera tôt ou tard connaissance avec le gibet justicier de la seigneurie de Plouernel !

— Et nous ne le plaindrons pas, cher et bon maître Garin ; que Fergan soit maudit, s’il a osé mal parler de vous et de notre vénéré seigneur ! — répondirent les serfs effrayés. Perrine-la-Chèvre revint à ce moment, accompagnée de l’homme d’armes chargé par le baillif d’aller déterrer le trésor de Pierre-le-Boiteux. La jeune serve avait l’air de plus en plus sombre et farouche, ses larmes étaient taries, mais ses yeux lançaient des éclairs, sous ses épais cheveux noirs qui voilaient son front ; par deux fois elle les écarta de sa main gauche, car elle tenait sa main droite cachée derrière son dos, ne quittant pas le baillif du regard ; elle s’approcha ainsi pas à pas de lui sans être remarquée, tandis que l’homme d’armes disait en remettant à Garin une rondelle de bois creusée : — Il y a là dedans neuf deniers de cuivre, mais quatre ne sont pas de la monnaie frappée par notre seigneur Neroweg VI (M).

— Encore de la monnaie étrangère à la seigneurie ! — s’écria le baillif en s’adressant aux serfs, — ne vous ai-je pas cent fois défendu d’en recevoir, sous peine du fouet ?

— Hélas ! maître Garin, — reprit Pierre-le-Boiteux toujours étendu sur le sol et ne cessant de pleurer en regardant ses mains mutilées, — les marchands forains qui passent et nous achètent parfois un porc, un mouton ou un chevreau, n’ont souvent que des deniers frappés dans les autres seigneuries ; comment donc faire ? Si nous refusons de vendre le peu que nous avons, où trouver de quoi payer les tailles ?

Le baillif, occupé à compter la somme, ne répondit rien à Pierre-le-Boiteux ; mais sa fille, tenant toujours sa main droite cachée der-