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malheureux, rendus méprisables et lâches par le servage et par la terreur ; — c’est Fergan qui parle ainsi !

— Achevez, coquins... achevez...

— Mais Fergan prétend que les tailles qu’on nous impose augmentent sans cesse, et qu’après avoir payé nos redevances en nature, le peu que nous pouvons tirer de nos récoltes est insuffisant à satisfaire aux demandes toujours nouvelles de notre seigneur. Hélas ! cher maître Garin... voyez, nous buvons de l’eau, nous sommes vêtus de haillons, nous mangeons pour toute nourriture des châtaignes, des fèves, et aux bons jours un peu de pain d’orge ou d’avoine...

— Comment ! — s’écrie le baillif d’une voix menaçante, — vous oseriez vous plaindre !

— Non, non, maître Garin, — reprirent les serfs effrayés, — non, nous ne nous plaignons pas !

— Si parfois nous souffrons un peu, c’est tant mieux pour notre salut, comme nous le dit notre saint père en Dieu le curé.

— Non, nous ne nous plaignons pas, nous autres ; c’est Fergan, qui l’autre jour parlait ainsi.

— Et nous l’avons fort blâmé de tenir un pareil langage, — ajouta le vieux Martin-l’Avisé tout tremblant ; — nous sommes satisfaits de notre sort, nous autres ; nous vénérons, nous chérissons notre noble et bien-aimé seigneur Neroweg VI et son secourable baillif Garin !

— Oui ! oui ! — crièrent les serfs tous d’une voix, — c’est la vérité... la pure vérité !

— Vils esclaves ! — s’écria le baillif avec un courroux mêlé de dédain, — lâches coquins ! vous léchez bassement la main qui vous fouaille ; ne sais-je pas, moi, que votre cher et noble Neroweg VI, vous l’avez surnommé Pire-qu’un-Loup, et moi, son secourable baillif, Mange-Vilain !

— Sur notre salut éternel, maître Garin, ce n’est point nous qui vous avons donné ce surnom !

— Par ma barbe ! on les justifiera, ces surnoms ! Oui, Neroweg VI