Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baillif ; et s’adressant à ses gens : — Cessez la torture ; l’un de vous suivra cette fille et rapportera l’argent.

Perrine-la-Chèvre s’éloigna précipitamment suivie de l’homme d’armes, après avoir jeté sur Garin un coup d’œil sournois et féroce... Les serfs, terrifiés, silencieux, osaient à peine se regarder les uns les autres, tandis que Pierre poussant des gémissements plaintifs, quoiqu’on eût mis fin à son supplice, murmurait en pleurant à chaudes larmes : — Hélas ! mon Dieu ! comment maintenant travailler à la terre pour payer la taille ? Voici mes pauvres mains martyrisées !

Le baillif, sans souci de ces plaintes, et avisant par hasard le serf aveugle, mutilé des quatre membres, qui, étendu le long d’une muraille, attendait qu’on le transportât dans quelque étable, le baillif, désignant à la foule ce malheureux et Pierre-le-Boiteux, s’écria d’une voix menaçante : — Que cet exemple vous apprenne à trembler, doubles larrons ! oui, tremblez ! car si vous osiez vous rebeller contre les droits de votre seigneur, vous seriez punis, en ce monde, par les coups, la prison, les supplices, la mort ! et en enfer, par les flammes de Satan ! Ah ! votre seigneur vous donnera des terres à cultiver à son profit, et il faudra vous arracher denier à denier les taxes qu’il lui plaît de vous imposer ! Êtes-vous, oui ou non, ses serfs taillables à merci et à miséricorde ?

— Hélas ! nous le sommes, maître Garin, — reprirent ces infortunés d’une voix craintive ; — nous sommes à la merci de notre maître !

— Puisque vous êtes et serez serfs vous et votre race, pourquoi toujours lésiner, frauder, larronner sur les tailles ? Combien de fois je vous ai pris en dol et en faute ? hein ? L’un aiguise son soc de charrue sans m’en prévenir, afin de dérober le denier qu’il doit à la seigneurie toutes fois qu’il aiguise son soc (H) ; l’autre prétend ne pas payer le droit de Cornage (I), sous prétexte qu’il ne possède pas de bêtes à cornes ; ceux-là poussent l’audace jusqu’à songer à se marier