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tres proposèrent à Philippe Ier de l’absoudre de son double adultère, moyennant somme ronde, il préféra garder sa bourse et sa Berthrade. Les prêtres l’excommunièrent, sonnant à son approche, en signe de deuil et de malédiction, les cloches à grande volée ; mais le gros roi, point méchant d’ailleurs, riait à gorge déployée, disant à sa maîtresse, au sujet de ces sonneries excommunicatrices : « — Entends-tu, ma belle, comme ces gens-là nous pourchassent ? (A) » Tel était le glorieux prince qui régnait en l’année 1098, où commence ce récit.




Le jour touchait à sa fin, le soleil d’automne jetait ses derniers rayons sur l’un des villages de la seigneurie de Plouernel ; un grand nombre de maisons, à demi démolies, avaient été récemment incendiées, lors de l’une de ces guerres fréquentes entre les seigneurs féodaux ; dans ces incursions, afin de ruiner leur ennemi, ils dévastaient son territoire, saccageaient les récoltes, emmenaient les bestiaux, massacraient les serfs et les vilains, dont l’écrasant labeur entretenait seul l’opulence des seigneuries. Les murailles des huttes de ce village, construites de pisé ou de pierres reliées avec une terre argileuse, étaient lézardées ou noircies par le feu ; l’on voyait encore, à demi carbonisés, les débris de la charpente des toitures, remplacées par quelques perches chargées de bottes de genêts ou de roseaux. L’aspect des serfs, à ce moment de retour des champs, n’était pas moins misérable que celui de leurs tanières ; hâves, décharnés, à peine vêtus de haillons, ils se serraient les uns contre les autres, tremblants et inquiets. Le baillif, justicier de la seigneurie, venait d’arriver dans le village, accompagné de cinq à six hommes armés, chargés d’aller de masure en masure ordonner aux habitants de se rendre sur la place ; bientôt ils se trouvèrent, au nombre de trois cents environ, rassemblés autour du baillif, si méchant envers les pauvres gens qu’on avait ajouté à son nom de Garin le surnom de Mange-Vilain (B). Cet homme redouté portait un casque de cuir garni de lames de fer et