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cette tour de Montlhéry, d’où sont parties des vexations qui m’ont fait vieillir, ainsi que des ruses et des crimes qui ne m’ont jamais permis d’obtenir la paix et le repos. — En effet (ajoute l’historien contemporain) les seigneurs de Montlhéry faisaient si bien qu’il ne se passait jamais rien de criminel sans leur concours ; comme d’ailleurs le territoire de Paris était entouré, du côté de la Seine, par Corbeil, à moitié chemin de Montléry, à droite, par Châteaufort, il en résultait un tel désordre entre les communications des habitants de Paris et ceux d’Orléans, qu’à moins de faire route en grande troupe, ils ne pouvaient aller les uns chez les autres que sous le bon plaisir des perfides seigneurs de Montlhéry. »

(Vie de Louis le Gros, par Suger, ch. VIII, p. 21.)

« Hugh, seigneur du château du Puiset, était un homme méchant, riche seulement de sa propre scélératesse et de celle de ses ancêtres ; il ne cessait, dans sa seigneurie du Puiset, d’imiter son père en toutes sortes de scélératesses ; il y a plus, ceux que son père ne déchirait qu’à coups de fouet, lui, plus cruel, les perçait à coups de dard ; devenant d’autant plus arrogant que ses crimes étaient impunis, il osa attaquer la très-noble femme du seigneur de Chartres, ravagea ses terres jusqu’aux portes de cette cité, portant partout le ravage et l’incendie. »

(Vie de Louis le Gros, ch. IX, p. 75)

« Eudes, comte de Corbeil, mourut en ces temps. Il n’avait de l’homme que le nom ; c’était non un animal raisonnable, mais une véritable bête féroce. Il était fils de cet orgueilleux Burchardt, seigneur de Montmorency, audacieux à l’excès et véritable chef de scélérats. »

(Vie de Louis le Gros, par Suger, p. 86)

« Roth-bert, seigneur de Voisy, traversant le marché public un certain samedi, tombe à l’improviste sur ceux qu’il sait être les plus riches, les jette dans les prisons de son château et les met à rançon. »

(Vie de Louis le Gros, par SUGER, ch. X., p. 86)

Interrogeons maintenant un autre historien contemporain de la féodalité :

« Tous ceux des gens du seigneur Enguerrand qui tombaient entre les mains du seigneur Godefrid de Lorraine étaient pendus à ses fourches patibulaires ou bien avaient les yeux crevés et les pieds coupés ; moi-même, j’ai entendu affirmer par un homme du pays, qui prit part dans les temps à cette boucherie, que, dans un seul jour, douze hommes furent attachés à la même potence. »

(Guilbert de Nogent, liv. III, p. 63 et suiv., tome II.)

« … La férocité du seigneur de Coucy est telle que certaines gens, même parmi ceux qui sont réputés cruels, paraissent plus avares du sang des vils troupeaux que ne l’est le seigneur de Coucy du sang des hommes. Il torture ses victimes par des supplices révoltants : Veut-il, par exemple, forcer des captifs, de quelque rang qu’ils soient, à se racheter ? il les suspend en l’air par les parties naturelles qui, cédant au poids du corps, sont arrachées, etc., etc. »

(Guilbert de Nogent, liv. III, p. 68 et suiv., tome I.)

Nous bornerons là, chers lecteurs, ces citations ; elles suffiront à vous prouver que ces monstruosités n’étaient pas exceptionnelles, mais générales, aux temps de la féodalité ; si vous en pouviez douter encore, je vous rappellerais ces paroles d’un historien d’une incontestable autorité :

« De la féodalité datent presque toutes les familles dont les noms se lient aux événements nationaux ; une foule de monuments religieux où les hommes se rassemblent encore ; et pourtant, le nom de la féodalité ne réveille dans l’esprit des peuples que des sentiments de crainte, d’aversion et de dégoût ; aucun temps, aucun système n’est demeuré aussi odieux à l’instinct public… On peut remonter le cours de notre histoire, s’y arrêter où l’on voudra, on trouvera partout le régime féodal considéré par la masse de la population comme un ennemi qu’il faut combattre et exterminer à tout prix ; de tout temps, qui lui a porté un coup a été populaire en France… Je défie qu’on me montre une époque où le régime féodal paraisse enraciné dans les préjugés des peuples et protégé par leurs sentiments. Ils l’ont toujours supporté avec haine, attaqué avec ardeur ; je n’ai garde de vouloir discuter et juger la légitimité d’un tel fait, c’est à mon avis le plus sûr, le plus irrévocable des jugements.

» … Or, quel était le caractère particulier de la hiérarchie féodale ? C’était une confédération de petits souverains, de petits despotes inégaux entre eux et ayant les uns envers les autres des devoirs et des droits, mais investis dans leurs propres domaines, sur leurs sujets personnels et directs, d’un pouvoir arbitraire et absolu. »

(Du caractère politique du régime féodal, p. 243. — Guizot.)

Si je vous cite l’opinion de M. Guizot, chers lecteurs, au lieu d’en appeler au témoignage plus explicite encore d’historiens aussi chers à la démocratie, à la France, qu’éminents ou illustres par