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car vraiment en ces temps-ci, où l’effronterie cléricale, redoublant d’audace mensongère, ose dire que l’Église catholique a, depuis des siècles, aboli l’esclavage, l’exploitation impie de l’homme par l’homme, il est bon de dire, de répéter sans cesse que L’Église catholique, comme les seigneurs franks, ses complices, a possédé des esclaves jusqu’au septième et huitième siècles et des serfs puis des vassaux jusqu’en 1789. — Oui, et au commencement du dix-septième siècle, des abbés, des évêques, des chanoines, jouissaient ou trafiquaient encore des droits les plus infâmes. Voici, à ce sujet, ce que nous lisons dans le Glossaire d’Eusèbe de Laucrice, p. 307, édit. 1704 :

« — Cullage ou cuilage. — Au procès-verbal fait par maître Jean Faguier, auditeur en la chambre des comptes, en vertu d’arrêt d’icelle du 7 avril 1507, pour l’évaluation du comté d’Eu, tombé en la garde du roi par la minorité des enfants de M. le comte de Nevers et de madame Charlotte de Bourbon, sa femme, au chapitre des revenus de la baronnie de Saint-Martin-le-Gaillard, dépendant dudit comté d’Eu.

» — Item, ledit seigneur lieu de saint-martin a le droit de cullage, quand on se marie.

» Cette coutume, qui donnoit aux seigneurs la première nuit de noces des nouvelles mariées, se rédima plus tard en une somme d’argent ou en un certain nombre de vaches… Les seigneurs de Souloire étaient autrefois aussi fondés en pareils droits exorbitants et honteux. Ils ont étés convertis en prestation en argent le 15 octobre 1607.

» — Au titre IX, ch. DXCVIII de l’Histoire de Châtillon, se voit un accord entre Guy, seigneur de Châtillon et de la Ferté en Tardenois, pour la conversion en argent du droit de cullage.

» Par arrêté de la cour du 19 mars 1509, à la poursuite des habitants et échevins d’Abbeville, défense fut faite à l’évêque d’Amiens d’exiger de l’argent des nouveaux mariés, et dit que chacun des habitants pourra coucher avec sa femme, sans la permission de l’évêque. — Les évêques d’Amiens, les chanoines de Lyon, et grand nombre de seigneurs d’Auvergne étaient autrefois en possession de mettre une cuisse nue dans le lit des nouvelles mariées ou de passer la nuit avec elles. » (Sauval, Antiquités de Paris, liv. VIII, p. 464-466.)[1]

« Les seigneurs de Prelley, en Piémont, jouissaient d’un pareil droit qu’ils appelaient cazzagio ; les vassaux des seigneurs en ayant demandé la commutation, le refus les porta à la révolte (ibidem).

Les Jacques aussi, chers lecteurs, se révoltèrent, poussés à bout par l’horreur du servage et de ces droits infâmes ; car la Jacquerie, ainsi que vous le verrez plus tard, fut une terrible, mais légitime représaille du serf et du vilain contre l’exécrable et sanglante oppression de la seigneurie et du clergé ; mais trois siècles de misères, de tortures, devaient s’écouler avant cette Jacquerie vengeresse et implacable.

Ces trois siècles embrassent, à bien dire, la période du système féodal qui va se dérouler à nos yeux ; et durant ces temps maudits, non-seulement les serfs et les vilains des campagnes, mais encore les bourgeois des villes, furent exposés à des hontes, à des spoliations, à des tortures, à des supplices si variés, si étranges, si atroces, qu’en outre des preuves puisées aux sources historiques les plus irréfutable réunies à la fin du volume, je crois cependant devoir faire précéder ces nouveaux récits de quelques citations d’écrivains contemporains de la féodalité, témoins des monstruosités que vous allez lire. Vous vous convaincrez ainsi, chers lecteurs, que, si invraisemblables que vous sembleront peut-être ces épisodes féodaux, ils ne sont entachés d’aucune exagération ; citons quelques faits au hasard :

« Ebble, seigneur de la baronnie de Roussis, et son fils Guiscard, se livraient, aux environs de Reims, aux dévastations, au pillage et à toutes sortes de malices ; les plaintes les plus lamentables avaient été cent fois portées contre ces hommes si redoutables. » (Vie de Louis le Gros, par Suger, ch. V, p. 15.)

« Un très-fort château du pays de Laon, appelé Montaigu, était tombé, par suite d’un incestueux mariage, en la possession du seigneur de Marle, homme perdu de crimes… Ses voisins subissaient sa rage, intolérable comme celle du loup le plus cruel, et accrue par l’audace que lui donnait son inexpugnable château. » (Vie de Louis le Gros, par Suger, ch. VII, p. 18.)

« … Le château de Montlhéry étant tombé au pouvoir du roi des Francs, il s’en réjouit comme si on lui eût arraché une paille de l’œil ou qu’on eût brisé les barrières qui le tenaient enfermé ; nous avons, en effet, entendu le père de Louis le Gros dire à son fils : — Sois bien attentif à conserver

  1. Voir pour plus de détails le Glossaire de Ducange, au mot marchetta-marchetum.