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daim : la largeur de son pied, empreint sur la neige, annonçait la hauteur de sa taille ; je jugeai de son poids par le brisement de la glace du ruisseau qu’il venait de traverser, glace d’une telle épaisseur, qu’elle aurait pu me supporter. Depuis plusieurs mois je rencontrais pour la première fois la trace d’un daim. Avait-il, par hasard, échappé à la mortalité commune ? venait-il d’une forêt lointaine ? je ne savais ; mais je suivis avec ardeur cette trace récente. J’avais mon arc, mes flèches : atteindre la bête fauve, la tuer, enfumer cette venaison, c’était assurer la vie de ma famille expirante pour un mois peut-être. L’espoir ranima mes forces ; je poursuivis le daim ; l’empreinte régulière de ses pas prouvait qu’il suivait paisiblement une des grandes routes de la forêt ; de plus, ses traces étaient si nettement imprimées sur la neige, qu’il devait avoir traversé le ruisseau depuis une heure au plus, sinon le contour des empreintes laissées par l’animal sur la neige se fût arrondi, déformé, en fondant à la tiédeur de l’air ; en moins d’une heure je pouvais, en suivant sa piste, le rejoindre, le surprendre et l’abattre. Dans l’ardeur de cette chasse, j’oubliais ma faim. Je marchais depuis une heure environ, soudain, au milieu du profond silence de la forêt, le vent m’apporte un bruit confus, il me semble entendre un bramement éloigné, cela me surprend, car ordinairement les animaux des bois ne crient que la nuit ; craignant de m’être mépris, je colle mon oreille au sol... plus de doute, le daim bramait à mille pas de là environ ; heureusement une courbe de la route me dérobait à sa vue ; car ces fauves s’arrêtent souvent pour regarder derrière elles ou écouter au loin. Alors, au lieu de suivre le chemin au delà du coude qui me cachait, j’entrai dans un taillis, espérant devancer le daim, dont l’allure était lente, m’embusquer dans un fourré du bord de la route et le tirer à son passage. Le ciel était sombre ; le vent s’éleva, je vis avec effroi tourbillonner quelques flocons de neige ; si elle devait tomber abondamment avant que j’eusse tué le daim, elle recouvrirait l’empreinte de ses pas, et si de mon embuscade je n’avais trouvé l’occasion favorable de lui lancer