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des maux de la conquête et une aversion mortelle contre la race des Franks conquérants. J’avais à peine dix-huit ans, lorsque mon père mourut ; il me fit jurer une haine implacable aux rois franks et à l’Église de Rome, leur complice de tous les temps ; je lui promis aussi d’écrire le récit de ma vie, si j’assistais à quelque événement important ; il me remit le rouleau de parchemin écrit par Eidiol et le fer de flèche retiré de la blessure de Gaëlo, le pirate. Je serrai ces reliques dans la poche de mon sarrau ; le soir je fermai les yeux de mon père ; au point du jour je creusai sa fosse près de sa hutte, je l’y ensevelis. Son arc, ses flèches, quelques vêtements, son grabat, son coffre, sa marmite appartenaient au domaine du roi, le serf ne peut rien posséder. Cependant je pensais à m’emparer de l’arc, des flèches, d’un sac de châtaignes qui nous restait, résolu de courir les bois en liberté, lorsqu’un hasard singulier changea mes projets. Je m’étais, tout attristé, couché sur l’herbe, au milieu d’un taillis voisin de notre hutte, soudain j’entends le pas de deux cavaliers ; ils se promenaient dans la forêt ; descendus de leurs chevaux, ils les tenaient par la bride, et marchaient lentement, ne se croyant entendus par personne, ils parlaient haut ; l’un disait à l’autre : — Soit !... le roi Lothèr a été empoisonné l’an passé par sa femme Imma et par l’évêque de Laon... mais il reste Ludwig, fils de Lothèr.

— Et si ce Ludwig mourait par une cause ou par une autre ? son oncle, le duc de Lorraine, à qui de droit revient le trône, oserait-il me disputer la couronne de France, à moi... à moi, Hugh, comte de Paris ?

— Non, seigneur !... Mais voilà six mois à peine que le roi Lothèr est mort, il faudrait un heureux et singulier hasard pour que son fils le suivît de si près dans la tombe.

— Les vues de la Providence sont impénétrables... Au printemps prochain, Ludwig vient habiter le château de Compiègne avec la reine, et...

Je n’entendis pas la fin de l’entretien, les cavaliers s’éloignant con-