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— S’ils me sont présents, — répondit le roi d’un air sinistre, — c’est que le 2 mars de l’an passé... j’ai vu mourir mon père, empoisonné par ma mère !

— Ah ! quel lugubre souvenir !

— Lugubre est la chose... lugubre est le souvenir !

— Combien je hais cette maudite robe orange, puisqu’elle a pu éveiller en vous ces tristes pensées !

Le roi resta muet ; il se retourna sur ses coussins et mit sa main sur ses yeux. La porte de la salle se rouvrit ; l’un des courtisans de Ludwig lui dit : — Seigneur, malgré toutes nos recherches nous n’avons pu retrouver Yvon-le-Bestial ; il se sera caché dans quelque coin ; mais il sera rudement châtié dès que l’on mettra la main sur lui. — Ludwig ne répondit rien. Blanche, d’un geste impérieux, fit signe au courtisan de se retirer. Les deux époux restèrent seuls : la reine, voyant son mari de plus en plus soucieux, lui dit, redoublant de câlineries doucereuses : — Cher seigneur, combien votre tristesse m’afflige !

— Vous êtes d’une tendresse extrême... ce matin.

— Ma tendresse pour vous augmente en raison du chagrin où je vous vois, mon aimable maître !

— Ah ! j’ai tout perdu en perdant mon père ! — murmura Ludwig d’une voix dolente ; et il ajouta d’un ton de fureur concentrée : — Scélérat d’évêque de Laon ! empoisonneur adultère ! Et ma mère ! ma mère... était sa complice ! Ah ! l’on dit vrai : de tels crimes annoncent la fin du monde !

— De grâce, mon seigneur, oubliez ce passé funèbre ! Que parlez-vous de la fin du monde ? c’est une fable !

— Une fable ?... Quoi ! les plus saints évêques n’affirment-ils pas que le monde doit finir dans quatorze ans... en l’an 1000 ?

— Ce qui me rend leur affirmation douteuse, Ludwig, c’est qu’en annonçant cette fin prochaine de toutes choses, les prêtres recommandent fort aux fidèles d’abandonner leurs biens aux églises.