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prise, comme si elle s’attendait à être devancée par quelqu’un en cet endroit solitaire ; son espoir trompé, elle fit un mouvement d’impatience, s’assit essoufflée sur l’un des rochers qui bordait la source et releva le capuchon de sa cape. Cette femme, à peine âgée de vingt ans, avait les cheveux, les yeux et les sourcils noirs, le teint brun, les lèvres d’un rouge vif ; ses traits étaient beaux, la mobilité de ses narines gonflées, la vivacité de ses mouvements annonçaient un caractère violent. À peine se fut-elle reposée quelques instants qu’elle se releva et marcha çà et là d’un pas agité, s’arrêtant parfois pour écouter si personne ne venait ; enfin entendant le bruit d’un pas lointain, elle tressaillit et courut à la rencontre de celui qu’elle attendait ; il parut. C’était un homme simplement vêtu et dans la force de l’âge, grand, robuste, au regard perçant, à la physionomie sombre et rusée. La jeune femme s’élançant d’un bond dans les bras de ce personnage, lui dit d’une voix passionnée : — Hugh ! je voulais t’accabler de reproches, te battre ! te voilà, j’oublie tout. — Et elle ajouta avec un emportement amoureux : — Tes lèvres, oh ! tes lèvres !

Hugh après plusieurs baisers donnés et rendus, se délivrant non sans peine de l’étreinte de cette endiablée, lui dit gravement : — Il ne s’agit pas d’amour à cette heure.

— À cette heure, aujourd’hui, hier, demain, partout et toujours, je t’aime, je t’aimerai !

— Blanche, téméraires sont ceux-là qui disent : toujours, lorsque quatorze ans à peine nous séparent du terme fatal assigné à la durée du monde !

— Quoi ! ce rendez-vous matinal dans cet endroit solitaire, où je suis venue sous prétexte d’aller prier à l’ermitage de Saint-Eusèbe, ce rendez-vous, tu me l’aurais donné pour me parler de la fin du monde ? Hugh, Hugh... la fin du monde pour moi... c’est la fin de ton amour !

— Ne raille pas des choses saintes ! ne fait-elle pas de plus en plus des progrès, cette croyance : que dans quatorze ans, le premier