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les comtes et vicomtes des pays de Montléry, d’Argenteuil, de Pontoise et autres seigneurs franks parmi lesquels on distingue Burchart, seigneur du pays de Montmorency, remarquable par sa grande taille ; au bas de l’estrade, en face du roi et de cette assemblée de seigneurs et de prélats, se trouve Rolf accompagné de Gaëlo, de la belle Shigne et des principaux chefs north-mans. Le vieux pirate porte toujours la chemise blanche de néophyte par-dessus son amure ; sa physionomie est triomphante, insolente et narquoise ; Karl-le-Sot, triste, abattu, essuie ses larmes à la dérobée ; cet homme, malgré son imbécile faiblesse, cet homme aime sa fille, et le sort de Ghisèle l’épouvante.

Radieux d’échapper aux nouveaux désastres que Rolf menaçait de déchaîner sur la Gaule, le Comte de Paris, l’archevêque de Rouen, les autres seigneurs et prélats, savourent l’abjection de ce roi dont la lâcheté les sauve ; mais si avili, si vain que soit son titre, ils le jalousent encore. L’archevêque Francon descend de l’estrade d’un pas majestueux, s’approche de Rolf et lui dit d’une voix solennelle :

— Karl, roi des Franks, a bien voulu t’octroyer à toi et à tes hommes tous les champs, forêts, villes, bourgs, villages, habitants et bétail de la Neustrie...

— Si le roi que voici ne m’eût pas donné cette province, je l’aurais prise, — dit Rolf en interrompant le prélat, — et à ce sujet, un mot, Francon ? Tu m’as baptisé moi et mes champions, nous nous sommes (et tu sais pourquoi) laissé mettre tout nus dans de grands cuveaux et asperger d’eau salée, vraie saumure d’océan, après quoi nous avons revêtu par-dessus nos armures une longue chemise blanche.

— C’est le sacré symbole de la pureté de ton âme, lavée de toutes ses souillures par la sainte immersion du baptême, — reprit l’archevêque d’une voix grave, — désormais tu es catholique et fils de l’Église de Rome !

— C’est dit, mais tu nous a fait payer fort cher tes cuveaux, tes chemises blanches et ton eau salée, car tu m’as demandé en retour