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— Ce voyage de nuit m’inquiète : pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une mauvaise nouvelle ?

— Quelle mauvaise nouvelle y a-t-il à craindre ? croirait-on pas que les North-mans sont à Paris, comme dit le proverbe ? — reprit la nourrice en souriant et haussant les épaules ; — ne vous alarmez donc pas ainsi, chère fille.

— Je sais, Jeanike, que les North-mans ne sont pas à Paris. Dieu nous sauve de ces pirates maudits !

— Le chapelain assurait l’autre jour, — reprit Yvonne, — qu’ils ont des pieds de bouc et sur la tête des cornes de bœuf.

— Tais-toi ! tais-toi ! — reprit Ghisèle en frissonnant, — ne parle pas de ces païens, leur nom seul me fait horreur ! Hélas ! n’ont-ils pas fait mourir ma mère !

— Il est vrai, — reprit tristement la nourrice. — Ah ! ce fut une nuit fatale que celle où ces démons, conduits par Rolf le damné, attaquèrent le château de Kersy-sur-l’Oise, après avoir remonté cette rivière. La reine votre mère vous nourrissait ; elle ressentit une telle épouvante que son sein tarit, et elle mourut. De ce moment vous avez partagé mon lait avec ma petite Yvonne. J’avais été jusqu’alors très-malheureuse ; enfant trouvée, vendue toute petite à l’intendant du domaine royal de Kersy, mon sort s’est amélioré lors que je suis devenue votre nourrice, et mon fils aîné Germain est devenu l’un des serfs forestiers des bois de Compiègne.

— Ah ! nourrice, — reprit en soupirant Ghisèle, dont les yeux se remplirent de larmes, — chacun a ses peines ! Je suis fille de roi, mais je n’ai plus de mère ; aussi par pitié ne prononce jamais devant moi le nom des North-mans ! ces monstres qui m’ont privée des tendresses maternelles !

— Allons, chère fille, ne pleurez pas ainsi, — dit affectueusement Jeanike, en essuyant les yeux de Ghisèle, tandis que sa sœur de lait, agenouillée sur son escabeau, ne pouvant non plus retenir ses pleurs, regardait la jeune princesse d’un air navré.