Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pudiée par votre petit-fils, est retournée dans son pays au bout de six mois de mariage, et nous avons mis la main sur sa dot (I) ; enfin, Thierry est mort cette année de la dyssenterie (dites donc, madame, — ajouta la vieille avec un sourire affreux, — mort de la dyssenterie ?) ; de sorte que par la grâce de cette bienheureuse dyssenterie, vous voici aujourd’hui maîtresse et reine souveraine de ce pays de Bourgogne, puisque Sigebert, le plus âgé des fils de Thierry, vos arrière-petits-enfants, n’a pas encore onze ans… Il ne faut pas qu’ils meurent, ces roitelets, car par leur mort, le fils de Frédégonde deviendrait l’héritier de leurs royaumes… Il faut seulement qu’ils vivotent, afin que vous régniez à leur place… Eh bien, madame, ils vivoteront… mais, j’y songe, nous oublions l’esclave que vous voulez acheter à Samuel.

— Au contraire, Chrotechilde, cet entretien nous ramène à l’esclave…

— Comment cela ?

— Il n’y a plus à en douter, l’âge amortit ton intelligence ; autrefois si prompte à me comprendre, depuis un quart d’heure tu me donnes la preuve de ce fâcheux affaiblissement de ton esprit.

— Moi, madame ?

— Oui, autrefois au lieu de me demander ce que je compte faire d’une de ces deux esclaves de Samuel, tu m’aurais devinée ; mais je viens de me convaincre tout à mon aise de la lenteur sénile de ta perception… cela est triste, Chrotechilde.

— Triste… autant pour moi que pour vous, madame… Mais… expliquez-vous… je vous en prie…

— Quoi ! cervelle appesantie ! Tu sais que j’ai la tutelle de mes arrière-petits-enfants, et sottement tu me demandes ce que je compte faire de ces jolies esclaves ? devines-tu, maintenant ?

— Eh ! oui, madame, je devine, mais vos reproches sont injustes ! Comment imaginer que vous songiez à cela… Sigebert n’a pas onze ans !