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L’abbesse se leva brusquement, marcha çà et là avec agitation ; faisant ensuite un violent effort sur elle-même, elle dit à l’intendant : — Va chercher Berthoald !

— Madame…

— Obéiras-tu !…

— Mais le messager que vous avez demandé attend cette lettre pour l’évêque de Nantes : le bateau est prêt avec quatre rameurs.

— Que me fait l’évêque de Nantes et ton bateau ? Va me chercher Berthoald…

— J’obéis.

Ricarik se dirigea lentement vers l’entrée de la salle ; il allait disparaître derrière le rideau, lorsque Méroflède, après une violente hésitation, lui cria : — Non… reviens ! — Et, se laissant tomber sur son lit en cachant sa figure entre ses mains, l’abbesse poussa des gémissements douloureux qui ressemblaient aux hurlements d’une louve blessée. L’intendant se rapprochant attendit, silencieux, que la crise violente à laquelle Méroflède était en proie fût calmée. Au bout de quelques instants l’horrible femme se releva, la joue en feu, l’œil étincelant, la lèvre dédaigneuse, s’écriant : — Je suis trop lâche ! Oh ! cet homme ! cet homme ! il me payera cher ce qu’il me fait souffrir ! — Et après s’être encore promenée avec agitation, elle parut se calmer, se rejeta sur le lit, et dit à l’intendant : — Relis-moi cette lettre… j’étais folle…

L’intendant lut ce qui suit : — « Méroflède, servante des servantes du Seigneur, à son très-cher père en Christ, Arsène, évêque du diocèse de Nantes, salut respectueux. Très-cher père, le Seigneur, par un éclatant miracle, nouvelle preuve de sa prédilection pour les humbles vierges qui vivent de sa foi et de parole, vient de montrer quels terribles châtiments il réserve aux impies qui l’outragent en la personne de ses pauvres filles. Karl, chef des Franks, contempteur de toutes les lois divines, désolateur de l’Église, dévastateur de ses biens sacrés, persécuteur des fidèles, avait eu la sacri-