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– Le soldat n’est déjà pas si simple, ami Scanvoch, seulement il n’ignore pas le vieux proverbe gaulois : On n’attribue les brebis perdues qu’aux possesseurs de troupeaux… Ainsi, par exemple, tu connais le capitaine Marion ? tu sais ? cet ancien ouvrier forgeron ?…

– Oui, l’un des meilleurs officiers de l’armée…

– Le fameux capitaine Marion, qui porte un bœuf sur ses épaules, — ajouta un des soldats, — et qui peut abattre ce bœuf d’un seul coup de poing, aussi pesant que la masse de fer d’un boucher.

– Et le capitaine Marion, — ajouta un autre rameur, — n’en est pas moins bon compagnon, malgré sa force et sa gloire ; car il a pour ami de guerre, pour saldune, comme on disait au temps jadis, un soldat, son ancien camarade de forge.

– Je connais la bravoure, la modestie, la haute raison et l’austérité du capitaine Marion, — leur dis-je ; — mais à quel propos le comparer à Victorin ?…

– Un mot encore, ami Scanvoch. As-tu vu, l’autre jour, entrer dans Mayence ces deux bohémiennes traînées dans leur chariot par des mules couvertes de grelots, et conduites par un négrillon ?

– Je n’ai pas vu ces femmes, mais j’ai entendu parler d’elles. Mais, encore une fois, à quoi bon tout ceci à propos de Victorin ?

– Je t’ai rappelé le proverbe : On n’attribue les brebis perdues qu’aux possesseurs de troupeaux… parce que l’on aurait beau attribuer au capitaine Marion des habitudes d’ivrognerie et de violence envers les femmes, que, malgré sa simplesse, le soldat ne croirait pas un mot de ces mensonges, n’est-ce pas ? De même que, si l’on attribuait quelque débauche à ces coureuses bohémiennes, le soldat croirait à ces bruits ?

– Je te comprends, Douarnek, et comme toi je serai sincère… Oui, Victorin aime la gaieté du vin, en compagnie de quelques camarades de guerre… Oui, Victorin, resté veuf à vingt ans, après quelques mois de mariage, a parfois cédé aux entraînements de la jeunesse ; sa mère a souvent regretté, ainsi que moi, qu’il ne fût pas