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– Personne mieux que moi ne sait combien sont sages et précieux pour notre pays les conseils que Victoria donne à son fils. Mais qu’y a-t-il de changé ? N’est-elle pas là, veillant sur Victorin et sur la Gaule, qu’elle aime d’un pareil et maternel amour ?… Voyons, Douarnek, réponds-moi avec ta franchise de soldat : d’où vient cette hostilité, qui, je le crains, va toujours empirant contre Victorin ?

– Écoute, Scanvoch ; je suis, comme toi, un vieux et franc soldat, car ta moustache, plus jeune que la mienne, commence à grisonner. Tu veux la vérité ? La voici. Nous savons tous que la vie des camps ne rend pas les gens de guerre chastes et réservés comme des jeunes filles élevées chez nos druidesses vénérées ; nous savons encore, parce que nous en avons bu souvent, oh ! très-souvent, que notre vin des Gaules nous met en humeur joyeuse ou tapageuse… nous savons enfin qu’en garnison le jeune et fringant soldat, qui porte fièrement sur l’oreille une aigrette à son casque, en caressant sa moustache blonde ou brune, ne garde pas longtemps pour chers amis les pères qui ont de jolies filles ou les maris qui ont de jolies femmes… Mais tu m’avoueras, Scanvoch, qu’un soldat, qui d’habitude s’enivre comme une brute, et qui fait lâchement violence aux femmes, mérite d’être régalé d’une centaine de coups de ceinturon bien appliqués sur l’échine, et d’être ensuite chassé honteusement du camp : est-ce vrai ?

– C’est vrai ; mais pourquoi me dire ceci à propos de Victorin ?

– Écoute encore, ami Scanvoch, et réponds-moi. Si un obscur soldat mérite ce châtiment pour sa honteuse conduite, que mériterait un chef d’armée qui se dégraderait ainsi ?…

– Oserais-tu prétendre que Victorin ait jamais fait violence à une femme et qu’il s’enivre chaque jour ? — m’écriai-je indigné. — Je dis que tu mens, ou que ceux qui t’ont rapporté cela ont menti… Voilà donc ces bruits indignes qui circulent dans le camp sur Victorin ! Et vous êtes assez simples ou assez enclins à la calomnie pour les croire ?…