Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ma sœur de lait un dévouement sans bornes ; elle me demanda de demeurer auprès d’elle et de son mari, comme l’un des cavaliers qui servent ordinairement d’escorte aux chefs gaulois, et écrivent ou portent leurs ordres militaires ; j’acceptai. Ma sœur de lait avait dix-huit ans à peine, lorsque, dans une grande bataille contre les Franks, elle perdit le même jour son père et son mari… Restée veuve avec son enfant, pour qui elle prévoyait de glorieuses destinées, vaillamment réalisées aujourd’hui. Victoria ne quitta pas le camp. Les soldats, habitués à la voir au milieu d’eux, son fils dans ses bras, entre son père et son mari, savaient que plus d’une fois ses avis, d’une sagesse profonde, avaient, comme ceux de nos mères, prévalu dans les conseils des chefs ; ils regardaient enfin comme d’un bon augure pour les armes gauloises la présence de cette jeune femme, élevée dans la science mystérieuse des druidesses ; ils la supplièrent, après la mort de son père et de son mari, de ne pas abandonner l’armée, lui déclarant, dans leur naïve affection, que son fils Victorin serait désormais le fils des camps, et elle la mère des camps. Victoria, touchée de tant d’attachement, resta au milieu des troupes, conservant sur les chefs son influence, les dirigeant dans le gouvernement de la Gaule, s’occupant d’élever virilement son fils, et vivant aussi simplement que la femme d’un officier.

Peu de temps après la mort de son mari, ma sœur de lait m’avait déclaré qu’elle ne se remarierait jamais, voulant consacrer sa vie toute entière à Victorin… Le dernier et fol espoir que j’avais malgré moi conservé en la voyant veuve et libre, s’évanouit : la raison me vint avec l’âge ; oubliant mon malheureux amour, je ne songeai plus qu’à me dévouer à Victoria et à son enfant. Simple cavalier dans l’armée, je servais de secrétaire à ma sœur de lait ; souvent elle me confiait d’importants secrets d’État, et parfois me chargeait de messages de confiance.

J’apprenais à Victorin à monter à cheval, à manier la lance et l’épée ; je le chéris bientôt comme mon fils : on ne pouvait voir un plus