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core, hâve, amaigrie, vêtue de haillons, portant au cou le collier de fer de la servitude, elle se traîne à genoux, écrasée sous un pesant fardeau… Le roi frank et l’évêque de Rome hâtent, à coups de fouet, la marche de la Gaule esclave ! Encore un torrent de sang… encore des cadavres… encore des ruines… encore les lueurs de l’incendie… Assez ! assez de débris ! assez de massacres… Ô Hésus ! joies du ciel ! — s’écria Victoria, dont les traits semblèrent soudain rayonner d’une splendeur divine, — la noble femme est debout ! la voilà… je la vois, plus belle, plus fière que jamais… le front ceint d’une couronne de feuilles de chêne !… D’une main, elle tient une gerbe d’épis, de raisins et de fleurs… de l’autre, un drapeau surmonté du coq gaulois… elle foule d’un pied superbe les débris de son collier d’esclavage, la couronne des rois franks et celle des pontifes de Rome !… Oui, cette femme, enfin libre, fière, glorieuse, féconde… c’est la Gaule !… Hésus ! Hésus !… pitié pour elle… Qu’elle brise le joug des rois et des évêques de Rome !… qu’elle redevienne ainsi libre, glorieuse et féconde, sans traverser d’âge en âge ces flots de sang qui m’épouvantent !…

Ces derniers mots épuisèrent les forces de Victoria ; elle céda pourtant à un dernier élan d’exaltation, leva les yeux vers le ciel en croisant ses deux bras sur sa mâle poitrine, poussa un long gémissement et retomba sur sa couche funèbre…

La mère des camps, Victoria la Grande, était morte !…

J’avais, pendant qu’elle parlait, fait des efforts surhumains pour contenir mon désespoir ; mais lorsque je la vis expirer, le vertige me saisit, mes genoux fléchirent, mes forces, ma pensée m’abonnèrent, et je perdis tout sentiment au moment où j’entendis un grand tumulte dans la pièce voisine, tumulte dominé par ces mots :

— Tétrik, le chef de la Gaule, meurt par le poison !…

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Pendant plusieurs jours, ta seconde mère, Sampso, mon enfant, me vit à l’agonie. Deux semaines environ s’étaient passées depuis la