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chagrins, j’étais allé me promener dans un bois, à peu de distance de Mayence. Je marchais depuis longtemps machinalement devant moi, cherchant le silence et l’obscurité, m’enfonçant de plus en plus dans ce bois, lorsque mes pas heurtant un objet que je n’avais pas aperçu, je trébuchai, et fus ainsi tiré de ma triste rêverie… Je vis à mes pieds un casque dont la visière et le garde-cou étaient également relevés ; je reconnus aussitôt le casque de Marion, le sien seul ayant cette forme particulière. J’examinai plus attentivement le terrain à la clarté des derniers rayons du soleil qui traversaient difficilement la feuillée des arbres, je remarquai sur l’herbe des traces de sang, je les suivis ; elles me conduisirent à un épais fourré où j’entrai.

Là, étendu sur des branches d’arbre, pliées ou brisées par sa chute, je vis Marion, tête nue et baigné dans son sang. Je le croyais évanoui, inanimé, je me trompais… car en me baissant vers lui pour le relever et essayer de le secourir, je rencontrai son regard fixe, encore assez clair, quoique déjà un peu terni par les approches de la mort.

— Va-t’en ! – me dit Marion avec colère et d’une voix oppressée. – Je me traîne ici pour mourir tranquille… et je suis relancé jusque dans ce taillis… Va-t’en, Scanvoch, laisse-moi…

— Te laisser ! — m’écriai-je en le regardant avec stupeur et voyant sa saie rougie de sang, sur laquelle il tenait ses deux mains croisées et appuyées un peu au-dessous du cœur ; — te laisser… lorsque ton sang inonde tes habits, et que ta blessure est mortelle peut-être…

— Oh ! peut-être… — reprit Marion avec un sourire sardonique ; — elle est bel et bien mortelle, grâce aux dieux !

— Je cours à la ville ! — m’écriai-je sans me rendre compte de la distance que je venais de parcourir, absorbé dans mon chagrin. — Je retourne chercher du secours…

— Ah ! ah ! ah ! courir à la ville, et nous en sommes à deux lieues, — reprit Marion avec un nouvel éclat de rire douloureux. — Je ne crains pas tes secours, Scanvoch… je serai mort avant un quart d’heure… Mais, au nom du ciel ! qui t’a amené ? va-t’en !