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J’ai compris ce qu’il y avait de touchant dans cette mutuelle pensée de miséricorde et de pardon. Le vœu de ma sœur de lait a été accompli. Une députation des cohortes et des légions accompagna ce deuil… Je le suivis avec Victoria, Sampso, Tétrik et Marion. Les premiers officiers du camp se joignirent à nous. Nous marchions au milieu d’un morne silence. La première exaltation contre Victorin passée, l’armée se souvint de sa bravoure, de sa bonté, de sa franchise ; tous, me voyant, moi, victime d’un outrage qui me coûtait la vie d’Ellèn, donner un tel gage de pardon à Victorin, en suivant le char où il reposait ; tous, voyant sa mère suivre le char où reposait Ellèn, tous n’eurent plus que des paroles de pardon et de pitié pour la mémoire du jeune général.

Le convoi funèbre approchait des bords du fleuve, où se dressaient les deux bûchers, lorsque Douarnek, qui marchait à la tête d’une députation des cohortes, profita d’un moment de halte, s’approcha de moi, et me dit tristement :

— Scanvoch, je te plains… Donne l’assurance à Victoria, ta sœur, que nous autres soldats, nous ne nous souvenons plus que de la vaillance de son glorieux fils… Il a été si longtemps aussi notre fils bien-aimé à nous… Pourquoi faut-il qu’il ait méprisé les franches et sages paroles que je lui ai portées au nom de notre armée, le soir de la grande bataille du Rhin… Si Victorin, suivant nos conseils, s’était amendé, tant de malheurs ne seraient pas arrivés.

— Ce que tu me dis consolera Victoria dans sa douleur, — ai-je répondu à Douarnek. — Mais sais-tu ce qu’est devenu ce soldat, vêtu d’une casaque à capuchon, qui a eu la barbarie de tuer le petit-fils de Victoria ?

— Ni moi, ni ceux qui m’entouraient au moment où cet abominable crime a été commis, nous n’avons pu rejoindre ce scélérat, que ne désavoueraient pas les écorcheurs franks ; il nous a échappé à la faveur du tumulte et de l’obscurité. Il se sera sauvé du côté des avant-postes du camp, où il a, grâce aux dieux, reçu le prix de son forfait.