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Franks… C’est vous dire, Victoria, que je ne me crois pas plus sot qu’un autre… en raison de quoi, j’ai le bon sens de comprendre que je suis incapable de gouverner la Gaule…

— Cependant, capitaine Marion, — reprit Tétrik, — j’en atteste Victoria, cette tâche n’est pas au-dessus de vos forces, et je…

— Oh ! quant à ma force, elle est connue, — reprit Marion en interrompant le gouverneur. — Amenez-moi un bœuf, je le porterai sur mon dos, ou je l’assommerai d’un coup de poing ; mais des épaules carrées ne vous font pas le chef d’un grand peuple… Non, non… je suis robuste, soit ; mais le fardeau est trop lourd… Donc, Victoria, ne me chargez point d’un tel poids, je faiblirais dessous… et la Gaule faiblirait à son tour sous ma défaillance… Et puis, enfin, il faut tout dire, j’aime, après mon service, à rentrer chez moi pour vider un pot de cervoise en compagnie de mon ami Eustache, en causant de notre ancien métier de forgeron, ou en nous amusant à fourbir nos armes en fins armuriers… Tel je suis, Victoria, tel j’ai toujours été… tel je veux demeurer…

— Et ce sont là des hommes ! ô Hésus !… — s’écria la mère des camps avec indignation. — Moi, femme… moi, mère… j’ai vu mourir cette nuit mon fils et mon petit-fils… j’ai le courage de contenir ma douleur… et ce soldat, à qui l’on offre le poste le plus glorieux qui puisse illustrer un homme, ose répondre par un refus, prétextant de son goût pour la cervoise et le fourbissement des armures !… Ah ! malheur ! malheur à la Gaule ! si ceux-là qu’elle regarde comme ses plus valeureux enfants l’abandonnent aussi lâchement !…

Les reproches de la mère des camps impressionnèrent le capitaine Marion ; il baissa la tête d’un air confus, garda pendant quelques instants le silence ; puis il reprit :

— Victoria, il n’y a ici qu’une âme forte ; c’est la vôtre… Vous me donnez honte de moi-même… Allons, — ajouta-t-il avec un soupir, — allons… vous le voulez… j’accepte… Mais les dieux m’en sont témoins… j’accepte par devoir et à mon cœur défendant ; si je