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— Capitaine Marion, — reprit douloureusement Tétrik, — certes, la mort affreuse de Victorin et de son innocent enfant jette dans mon cœur le trouble et la désolation ; mais je crois parler en ce moment, non pas en fou, mais en sage, et Victoria partagera mon avis. Sans jouir de l’éclatante renommée militaire de notre Victorin, à jamais regretté… vous avez mérité, capitaine Marion, la confiance et l’affection des troupes par vos bons et nombreux services. Ancien ouvrier forgeron, vous avez quitté le marteau pour l’épée, les soldats verront en vous un de leurs égaux devenu leur chef par sa vaillance et leur libre choix ; ils s’affectionneront à vous davantage encore, sachant surtout que, parvenu aux grades éminents, vous n’avez jamais oublié votre amitié pour votre ancien camarade d’enclume.

— Oublier mon ami Eustache ! — dit Marion, — oh ! jamais !… non, jamais !…

— L’austérité de vos mœurs est connue, — reprit Tétrik, — votre excellent bon sens, votre droiture, votre froide raison sont, selon mon pauvre jugement, un sûr garant de votre avenir… Vous mettez en pratique cette sage pensée de Victoria, qu’à cette heure le temps de guerres stériles est fini, et que le moment est venu de songer à la paix féconde… Un dernier mot, capitaine, — ajouta Tétrik voyant que Marion allait l’interrompre. — J’en conviens, la tâche est lourde, elle doit effrayer votre modestie ; mais cette femme héroïque, qui, dans ce moment terrible, oublie son désespoir maternel pour ne songer qu’au salut de notre bien-aimée patrie, Victoria, j’en suis certain, en vous présentant aux soldats comme successeur de son fils, et certaine de vous faire accepter par eux, prendra l’engagement de vous aider de ses précieux conseils, de même qu’elle inspirait les meilleures résolutions de son valeureux fils… Et maintenant, capitaine Marion, si ma faible voix peut être écoutée de vous je vous adjure… je vous supplie, au nom du salut de la Gaule, d’accepter le pouvoir. Victoria se joint à moi pour vous demander cette nouvelle preuve de dévouement à notre glorieux pays !