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Le capitaine Marion, debout et immobile au seuil de la porte, semblait en proie à une profonde émotion intérieure ; il n’éclatait pas en gémissements, il ne versait pas de larmes, mais il ne cessait de contempler avec une expression navrante le corps du petit-fils de Victoria, étendu sur le berceau de mon fils, à moi ; puis j’entendis seulement Marion dire tout bas, en regardant tour à tour l’innocente victime et Victoria :

— Quel malheur !… Ah ! le pauvre enfant !… ah ! la pauvre mère !…

S’avançant ensuite de quelques pas, le capitaine ajouta d’une voix brève et entrecoupée :

— Victoria, vous êtes très à plaindre, et je vous plains… Victorin vous chérissait… c’était un digne fils ! je l’aimais aussi. J’ai la barbe grise, et je me plaisais à servir sous ce jeune homme. Je le sentais mon général ; c’était le premier capitaine de notre temps… aucun d’entre nous ne le remplacera ; il n’avait que deux vices : le goût du vin, et surtout sa peste de luxure ; je l’ai souvent beaucoup querellé là-dessus… j’avais raison, vous le voyez… Enfin, il n’y a plus à le quereller maintenant… C’était, au fond, un brave cœur ! oui, oh ! oui, un brave cœur… Je ne peux vous en dire davantage, Victoria : d’ailleurs, à quoi bon ? On ne console pas une mère… Ne me croyez pas insensible parce que je ne pleure point… On pleure quand on le peut ; mais enfin je vous assure que je vous plains, que je vous plains du fond de mon âme… J’aurais perdu mon ami Eustache, que je ne serais ni plus affligé, ni plus abattu…

Et se reculant de quelques pas, Marion jeta de nouveau, et tour à tour, les yeux sur Victoria et sur le corps de son petit-fils en répétant :

— Ah ! le pauvre enfant ! ah ! la pauvre mère !

Tétrik, toujours agenouillé auprès de Victorin, ne cessait de sangloter, de gémir. Aussi expansive que celle du capitaine Marion semblait contenue, sa douleur semblait sincère. Cependant mes soupçons ré-