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roces ; puis, enfin, ces vaillantes insurrections dont le cours ou le décours de la lune donnait le signal, fixé d’avance par nos druides vénérés… Tous ces faits, si lointains déjà, apparaissaient en ce moment à mon esprit comme les pâles fantômes du passé…

Je fus tiré de mes réflexions par la voix joyeuse de Victorin.

– À quoi rêves-tu, Scanvoch ? Toi, l’un des vainqueurs de cette belle journée, te voilà muet comme un vaincu…

– Victorin, je pense aux temps qui ne sont plus…

– Quel songe creux !… — reprit le jeune général dans l’entraînement de son impétueuse gaieté. — Laissons le passé avec les coupes vides et les anciennes maîtresses ! Moi, je pense d’abord à la joie de ma mère en apprenant notre victoire ; puis je pense, et beaucoup, aux brûlants yeux noirs de Kidda, la bohémienne qui m’attend, car cette nuit, en la quittant à la fin du souper où elle m’avait attiré par ruse, elle m’a donné rendez-vous pour ce soir… Journée complète, Scanvoch ! Bataille gagnée le matin ! et le soir, souper joyeux avec une belle maîtresse sur ses genoux ! Ah ! qu’il fait bon être soldat et avoir vingt ans !…

– Écoute, Victorin. Tant qu’a duré chez toi la préoccupation du combat, je t’ai vu sage, grave, réfléchi, digne en tout de ta mère et de toi-même…

– Et par les beaux yeux de Kidda, ne suis-je pas toujours digne de moi-même en pensant à elle après la bataille ?

– Sais-tu, Victorin, que c’est une grave démarche que celle tentée auprès de toi par Douarnek, venant te parler au nom de l’armée ? Sais-tu que cette démarche prouve la fière indépendance de nos soldats, dont la volonté seule t’a fait général ? Sais-tu que de telles paroles, prononcées par de tels hommes, ne sont et ne seront pas vaines… et qu’il serait funeste de les oublier ?…

– Bon ! une boutâde de vétéran, regrettant ses jeunes années… paroles de vieillard blâmant les plaisirs qu’il n’a plus…

– Victorin, tu affectes une indifférence éloignée de ton cœur… Je