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— mais de soldat à général on se les fait, ces reproches… Nous t’avons librement choisi pour chef, nous devons te parler librement… Plus nous t’avons élevé… plus nous t’avons honoré, plus nous sommes en droit de te dire : Honore-toi…

– J’y tâche, brave Douarnek… j’y tâche en me battant de mon mieux.

– Tout n’est pas dit quand on a glorieusement bataillé… Tu n’es pas seulement capitaine, mais aussi chef de la Gaule.

– Soit ; mais pourquoi diable t’imagines-tu, brave Douarnek, que comme général et chef de la Gaule je doive être plus insensible qu’un soldat à l’éclat de deux beaux yeux noirs ou bleus, au bouquet d’un vin vieux, blanc ou rouge ?

– Moi, soldat, je te dis ceci, à toi général, à toi chef de la Gaule : L’homme élu chef par des hommes libres doit, même dans les choses de sa vie privée, garder une sage mesure, s’il veut être aimé, obéi, respecté. Cette mesure, l’as-tu gardée ? Non… Aussi, comme nous t’avions vu avaler des pois, nous t’avons cru capable d’avaler un bœuf…

– Quoi ! mes enfants, reprit en riant le jeune général, vous m’avez cru la bouche si grande ?…

– Nous t’avions vu souvent en pointe de vin… nous te savions coureur de cotillons ; on nous a dit qu’étant ivre, tu avais fait violence à une femme qui s’était tuée de désespoir… nous avons cru cela…

– Courroux du ciel ! — s’écria Victorin avec une douloureuse indignation, — vous ?… vous avez cru cela du fils de ma mère ?

– Oui, — reprit le vétéran, — oui… là a été notre tort… Donc, nous avons eu nos torts, toi les tiens ; nous venons te pardonner, pardonne-nous aussi, afin que nous t’aimions et que tu nous aimes comme par le passé… Est-ce dit, Victorin ?

– Oui, — répondit Victorin ému de ces loyales et touchantes paroles, — c’est dit…