Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voise, bien rafraîchissant, avec mon ami Eustache, en causant de notre métier d’autrefois, ou en nous amusant à fourbir nos armes en fins armuriers… Voilà des plaisirs ! Et pourtant, malgré leur vivacité, ils n’ont rien que d’honnête… Espérons, Scanvoch, que Victorin les préférera quelque jour à ses orgies impudiques et diaboliques…

– Espérons, capitaine ; mieux vaut l’espérance que la désespérance… Mais, en l’absence de Victorin, vous pouvez conférer avec sa mère… Je vais la prévenir de votre arrivée.

Je laissai Marion seul, et passant dans une pièce voisine, j’y trouvai une vieille servante qui m’introduisit auprès de la mère des camps.

Je veux, mon enfant, pour toi et pour notre descendance, tracer ici le portrait de cette illustre Gauloise, une des gloires de notre bien-aimée patrie.

J’ai trouvé Victoria assise à côté du berceau de son petit-fils Victorinin, joli enfant de deux ans, qui dormait d’un profond sommeil. Elle s’occupait d’un travail de couture, selon son habitude de bonne ménagère. Elle avait alors mon âge, trente-huit ans ; mais on lui eût à peine donné trente ans ; dans sa jeunesse, on l’avait justement comparée à la Diane chasseresse ; dans son âge mûr, on la comparait non moins justement à la Minerve antique : grande, svelte et virile, sans perdre pour cela des chastes grâces de la femme, elle avait une taille incomparable ; son beau visage, d’une expression grave et douce, avait un grand caractère de majesté sous sa noire couronne de cheveux, formée de deux longues tresses enroulées autour de son front auguste. Envoyée tout enfant dans un collège de nos druidesses vénérées, et ayant prononcé à quinze ans les vœux mystérieux qui la liaient d’une manière indissoluble à la religion sacrée de nos pères, elle avait depuis lors, quoique mariée, toujours conservé les vêtements noirs que les druidesses et les matrones de la vieille Gaule portaient d’habitude : ses larges et longues manches, fendues à la hauteur de la saignée, laissaient voir ses bras aussi blancs, aussi forts