Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mes perplexités cessaient, je connaissais mon sort, je serais bouilli vif. Je me serais résigné sans mot dire à une mort vaillante ou utile, mais cette mort me semblait si stérile, si absurde, que, voulant tenter un dernier effort, je dis au chef des guerriers noirs :

– Tu es injuste… plusieurs fois des guerriers franks sont venus dans le camp gaulois demander des échanges de prisonniers ; ces Franks ont toujours été respectés ; nous sommes en trêve, et, en temps de trêve, on ne met à mort que les espions qui s’introduisent furtivement dans un camp… Moi, je suis venu ici à la face du soleil, une branche d’arbre à la main, au nom de Victorin, fils de Victoria la grande ; j’apporte de leur part un message aux chefs de l’armée franque… Prends garde ! Si tu agis sans leur ordre, ils regretteront de ne pas m’avoir entendu, et ils pourront te faire payer cher ta trahison envers ce qui est partout respecté : un soldat sans armes qui vient en temps de trêve, en plein jour, le rameau de paix à la main.

À mes paroles, Riowag répondit par un signe, et quatre guerriers noirs, m’enlevant sur leurs épaules, m’emportèrent, suivant les pas de leur chef, qui se dirigea vers le camp des Franks d’un air solennel.

Au moment où ces barbares me soulevaient sur leurs épaules, j’entendis l’un de ceux qui voulaient m’écorcher vif dire à l’un de ses compagnons, en termes grossiers :

– Riowag est l’amant d’Elwig ; il veut lui faire présent de ce prisonnier…

J’ai compris dès lors que Riowag, le chef des guerriers noirs, étant l’amant de la prêtresse Elwig, lui faisait galamment hommage de ma personne, de même que dans notre pays les fiancés offrent une colombe ou un chevreau à la jeune fille qu’ils aiment.

(Une chose t’étonnera peut-être dans ce récit, mon enfant, c’est que j’y mêle des paroles presque plaisantes, lorsqu’il s’agit de ces événements redoutables pour ma vie… Ne pense pas que ce soit parce qu’à cette heure où j’écris ceci j’aie échappé à tout danger… non… même au plus fort de ces périls, dont j’ai été délivré comme par pro-