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te désoler, c’est-à-dire à dépérir, en rêvant creux à tes enfants, au lieu de me faire honneur et profit par ta bonne mine, ainsi que le doit tout bon esclave jaloux de l’intérêt de son maître… prends garde à toi, ami Taureau, prends garde ! je ne suis pas novice dans mon commerce… je le fais depuis longtemps et dans tous les pays… J’en ai dompté de plus intraitables que toi ; j’ai rendu des Sardes dociles, et des Sarmates doux comme des agneaux (J)… juge de mon savoir-faire… Ainsi, crois-moi, ne t’évertue pas à me causer préjudice en dépérissant ; je suis très-doux, très-clément ; je n’aime point par goût les châtiments ; ils laissent souvent des traces qui déprécient les esclaves… Cependant, si tu m’y obliges, tu feras connaissance avec les mystères de l’ergastule (K) des récalcitrants… Songe à cela, ami Taureau… Voici bientôt l’heure du repas : le médecin affirme que l’on peut maintenant te donner une nourriture substantielle ; on va t’apporter de la poule bouillie avec du gruau arrosé de jus de mouton rôti, de bon pain et de bon vin mélangé d’eau… Je saurai si tu as mangé de bon appétit et de manière à réparer tes forces, au lieu de les perdre en larmoyant… Ainsi donc, mange, c’est le seul moyen de gagner mes bonnes grâces… mange beaucoup… mange toujours… j’y pourvoirai : tu ne mangeras jamais assez à mon gré, car tu es loin d’être à pleine peau… et il faut que tu y sois, à pleine peau… et cela, tu m’entends, avant quinze jours, terme de l’encan… Je te laisse sur ces réflexions, prie les Dieux qu’elles te profitent, sinon… oh ! sinon, je te plains, ami Taureau…

Et, en disant cela, le maquignon m’a laissé seul, enchaîné dans ce réduit dont la porte épaisse s’est refermée sur moi.