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— Laboureur.

— Laboureur, — reprit le maquignon d’un air déçu en se grattant l’oreille avec son stylet. — Oh ! oh ! tu n’es que laboureur… Tu n’as pas d’autre profession ?

— Je suis soldat aussi.

— Oh ! oh ! soldat… qui porte le carcan ne touche de sa vie ni lance ni épée… Ainsi donc, — ajouta le maquignon en soupirant et relisant ses tablettes, où il écrivit :

« No 7. Taureau, race gauloise bretonne, de première vigueur et de la plus grande taille, âge de vingt-neuf ans, excellent laboureur. » — Et il me dit :

— Ton caractère ?

— Mon caractère ?

— Oui, quel est-il ? Rebelle ou docile ? ouvert ou sournois ? violent ou paisible ? joyeux ou taciturne ?… Les acheteurs s’inquiètent toujours du caractère de l’esclave qu’ils achètent, et, quoique l’on ne soit pas tenu de leur répondre, il est d’un mauvais négoce de les tromper… Voyons, ami Taureau, quel est ton caractère ?… Dans ton intérêt, sois sincère… Le maître qui t’achètera saura toujours à la longue la vérité, et il te fera payer un mensonge plus cher qu’à moi.

— Alors écris sur tes tablettes : Le Taureau de labour aime la servitude, chérit l’esclavage et lèche la main qui le frappe.

— Tu plaisantes ; la race gauloise aimer la servitude ? Autant dire que l’aigle ou le faucon chérit la cage…

— Alors écris sur tes tablettes que, ses forces revenues, le Taureau, à la première occasion, brisera son joug, éventrera son maître, et fuira dans les bois pour y vivre libre…

— Il y a plus de vérités là-dedans ; car ces brutes de gardiens qui t’ont battu m’ont dit qu’au premier coup de fouet tu t’étais élancé terrible au bout de ta chaîne… Mais, vois-tu, ami Taureau, si je t’offrais aux acheteurs sous la dangereuse enseigne que tu te donnes, je trouverais peu de chalands… Or, si un honnête commerçant ne doit