Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en le raillant, car je me rassurais de plus en plus, sachant que l’homme redevient libre par la mort… quand j’achetais des bœufs au marché, j’étais moins habile que toi.

— Oh ! c’est que moi, je suis un vieux négociant sachant mon métier ; aussi les archers crétois m’ont-ils répondu, s’apercevant que je te dépréciais : « Mais ce coup de lance et ce coup d’épée sont des égratignures. — Des égratignures, mes maîtres ! leur ai-je dit à mon tour ; mais on a beau le crosser, le retourner (et je te crossais, et je te retournais du pied), voyez… il ne donne pas signe de vie ; il expire, mes nobles fils de Mars ! il est déjà froid… » Enfin, mon brave taureau, je t’ai eu pour deux sous d’or…

— Je me trouve payé peu cher ; mais à qui me revendras-tu ?

— Aux trafiquants d’Italie et de la Gaule romaine du Midi ; ils nous rachètent les esclaves de seconde main. Il en est déjà arrivé plusieurs ici.

— Et ils m’emmèneront au loin ?

— Oui, à moins que tu sois acheté par l’un de ces vieux officiers romains qui, trop invalides pour continuer la guerre, vont fonder ici des colonies militaires par ordre de César…

— Et nous dépouiller de nos terres ?…

— Naturellement. J’espère donc tirer de toi vingt-cinq ou trente sous d’or… au moins… et davantage si tu es d’un état facile à placer, tel que forgeron, charpentier, maçon, orfèvre ou autre bon métier. C’est pour le savoir que je t’interroge, afin de t’inscrire sur mon état de vente. Ainsi nous disons… — Et le maquignon reprit ses tablettes sur lesquelles il écrivit à nouveau avec son stylet. — Ton nom ? Taureau, race gauloise bretonne. Je vois cela d’un coup-d’œil… je suis un connaisseur… je ne prendrais pas un Breton pour un Bourguignon, ni un Poitevin pour un Auvergnat… J’en ai beaucoup vendu d’Auvergnats, l’an passé, après la bataille du Puy… Ton âge ?

— Vingt-neuf ans…

Âge, vingt-neuf ans, — écrivit-il sur ses tablettes. — Ton état ?