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— Ne sais-tu pas qu’après la bataille de Vannes, — m’a-t-il répondu avec un sombre sourire, — il restait plus de morts que de vivants et pas un Gaulois sans blessures ?… C’est sur ces blessés qu’à défaut de proie plus valide, les marchands d’esclaves suivant l’armée romaine se sont abattus comme les corbeaux sur les cadavres.

Alors je n’en ai plus douté… j’étais esclave… On m’avait acheté, je serais revendu. Le maquignon, ayant cessé de parler aux gardiens, s’approcha du vieillard, et lui dit en langue gauloise, mais avec un accent qui prouvait son origine étrangère :

— Mon vieux Perce-Peau, qu’est-il donc arrivé à ton voisin ? Est-ce qu’il est enfin sorti de son assoupissement ? Il a donc agi ou parlé ?

— Interroge-le, — dit brusquement le vieillard, il te répondra.

Alors le maquignon vint de mon côté ; il ne paraissait plus irrité, sa figure, naturellement joviale, se dérida ; il se baissa vers moi, appuya ses deux mains sur ses genoux, me sourit, et me dit en parlant très-vite et me faisant des questions auxquelles il répondait souvent pour moi :

— Tu as donc repris tes esprits, mon brave Taureau ? Oui… Ah ! tant mieux… Par Jupiter ! c’est bon signe… Vienne maintenant l’appétit, et il vient, n’est-ce pas ? Oui ?… Tant mieux encore ; avant huit jours, tu seras remplumé… Ces brutes de gardiens, toujours à moitié ivres, t’ont donc fouaillé ? Oui ?… Cela ne m’étonne pas… ils n’en font jamais d’autres… Le vin des Gaules les rend stupides… Te battre… te battre… et c’est à peine si tu peux tenir sur tes jambes… sans compter que, chez les hommes de race gauloise, la colère contenue peut avoir de mauvais résultats… Mais tu n’es plus en colère, n’est-ce pas ? Non ?… Tant mieux ; c’est moi qui dois être en colère contre ces ivrognes… Si ton sang, bouillonnant de fureur, t’avait étouffé, pourtant ?… Mais bah ! ces brutes se soucient bien de me faire perdre vingt-cinq ou trente sous d’or (C) que tu pourras me valoir prochainement, mon brave Taureau !… Mais pour plus de sû-