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— Détruite…

— Et notre flotte ?

— Anéantie (A).

— Ô mon frère !… et sa courageuse femme Méroë !… tous deux morts aussi ! — ai-je pensé. — Et à Vannes, où nous sommes, — ai-je dit au vieillard, — Vannes est au pouvoir des Romains ?

— Ainsi que toute la Bretagne, disent-ils.

— Et le chef des cent vallées ?

— Il s’est réfugié dans les montagnes d’Arès avec un petit nombre de cavaliers… Les Romains sont à sa poursuite, me répondit le vieillard ; et levant les yeux au ciel : — Qu’Hésus et Teutâtès protègent ce dernier défenseur des Gaules !

J’avais fait ces questions à mesure que la pensée me revenait, incertaine encore ; mais, lorsque je me suis rappelé le combat du char de guerre, la mort de ma mère, de mon père, de mon frère Mikaël, de sa femme, de ses deux enfants, puis enfin la mort presque certaine de ma femme Hénory, de ma fille et de mon fils… car au moment, où je perdais tout sentiment, je n’avais pas vu sortir Hénory de la logette à l’arrière du chariot, où je supposais qu’elle s’était tuée après avoir aussi tué nos deux enfants… après m’être rappelé tout cela, j’ai poussé, malgré moi, un grand cri de désespoir, me voyant resté seul ici, tandis que les miens étaient ailleurs ; alors, pour fuir la lumière du jour, je me suis rejeté la face sur ma paille.

Un des gardiens, à moitié ivre, fut blessé de mes gémissements ; plusieurs coups de fouet rudement assénés, accompagnés d’imprécations, sillonnèrent mes épaules. Oubliant la douleur pour la honte, moi Guilhern ! moi, fils de Joel ! battu du fouet ! je me dressai sur mes jambes d’un seul élan, malgré ma faiblesse, pour me jeter sur le gardien ; mais ma chaîne, tendue brusquement, m’arrêta, me fit trébucher et retomber à genoux. Aussitôt le gardien, mis hors de ma portée par la longueur du fouet, redoubla ses coups, me fouettant la figure, la poitrine, le dos… D’autres gardiens