Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.
257
LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

nant une terrasse et formant quatre galeries sous lesquelles pouvaient se retirer les buveurs en cas de pluie ; mais, cette nuit étant sereine et douce, le plus grand nombre des habitués du lieu étaient attablés dans la cour, à la lueur vacillante et rougeâtre d’une grosse lampe de fer placée au milieu de la cour. Cet unique luminaire éclairant à peine les galeries, où se tenaient aussi quelques buveurs, elles restaient complètement obscures.

Ce fut vers l’une de ces sombres retraites que Jeane, Aurélie et l’esclave Geneviève se dirigèrent ; elles virent, en traversant la foule, alors bruyante, beaucoup de gens en haillons ou pauvrement vêtus, des femmes de mauvaise vie : les unes, et en grand nombre, misérablement habillées, avaient pour turban un lambeau de voile blanc sur la tête ; quelques autres, au contraire, portaient des robes et des coiffures d’étoffe assez précieuse, mais fanée, des bracelets, des colliers et des pendants d’oreilles en cuivre ornés de fausses pierreries ; leurs joues étaient couvertes d’un fard éclatant ; leurs traits flétris, chagrins, une sorte d’amertume qui se révélait jusque dans la joie bruyante et exagérée, disaient assez les misères, les angoisses, la honte de leur triste existence de courtisanes.

Parmi les hommes, ceux-ci semblaient abattus par la pauvreté, ceux-là avaient l’air farouche, hardi ; plusieurs portaient des armes rouillées à leur ceinture, ou s’appuyaient sur de longs bâtons terminés par une boule de fer ; ailleurs, l’on reconnaissait, à leur carcan de fer, à leurs têtes rasées, des esclaves domestiques appartenant aux officiers romains ; plus loin, des infirmes en haillons étaient assis à terre auprès de leurs béquilles. Des mères tenaient entre leurs bras leurs petits enfants malades, pâles, amaigris, qu’elles couvaient d’un regard tendrement inquiet, attendant sans doute aussi la venue du jeune maître de Nazareth, si savant dans l’art de guérir.

Geneviève, à quelques mots échangés entre deux hommes bien vêtus, mais d’une figure sardonique et dure, devina qu’ils étaient de ces émissaires secrets dont les princes des prêtres et les docteurs de la