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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

partager ces généreuses doctrines… Quelle vérité nouvelle ne les a pas d’abord divisés ? Aussi, le jeune maître de Nazareth dit-il, dans son langage figuré, qu’il est venu mettre le feu sur la terre, et que son désir est qu’il s’allume !… Oh ! oui, je le crois, car ce feu dont il parle, c’est l’ardent amour de l’humanité dont son cœur est embrasé.

Jeane, en s’exprimant ainsi d’une voix émue, vibrante, paraissait plus belle encore ; Aurélie, sa nouvelle amie, la contemplait avec autant de surprise que d’admiration…

Les convives du seigneur Ponce-Pilate firent entendre, au contraire, des murmures d’étonnement et d’indignation, et Chusa, mari de Jeane, lui dit durement :

— Vous êtes folle ! et j’ai honte de vos paroles. Il est incroyable qu’une femme qui se respecte ose, sans mourir de confusion, défendre d’abominable doctrines, prêchées sur la place publique ou dans d’ignobles tavernes, au milieu de vagabonds, de voleurs et de femmes de mauvaise vie, entourage habituel de ce Nazaréen…

— Le jeune maître, répondant à ceux qui lui reprochaient ce mauvais entourage, n’a-t-il pas dit, — reprit Jeane de sa voix toujours sonore et ferme : — « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais les malades, qui ont besoin de médecin[1] ? », faisant entendre par cette parabole que ce sont les gens dont la vie est mauvaise qui ont surtout besoin d’être éclairés, soutenus, guidés, aimés… je le répète, oui, aimés consolés, pour revenir au bien ; car douceur et miséricorde font plus que violence et châtiment ; et cette pieuse et tendre tâche, Jésus se l’impose chaque jour !

— Et moi, je vous répète, — s’écria Chusa courroucé, — que le Nazaréen ne flatte ainsi les détestables passions de la vile populace au milieu de laquelle il passe sa vie, qu’afin de la soulever, l’heure et le moment venus, de s’en déclarer le chef, et de tout mettre à feu, à sac et à sang dans Jérusalem et en Judée ! puisqu’il a l’audace de dire qu’il n’apporte pas la paix sur la terre, mais l’épée… mais le feu…

  1. Évangile selon saint Matthieu, ch. IX, v. 11, 12.