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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

— Et je vous répète, moi, mes seigneurs, — reprit Ponce-Pilate en tendant sa coupe vide à son esclave debout derrière lui, — je vous répète que vous vous alarmez à tort… Laissez dire ce Nazaréen, et ses paroles passeront comme du vent.

— Seigneur Baruch, vous voulez donc bien du mal à ce jeune homme de Nazareth ? — dit Jeane de sa voix douce. — Vous ne pouvez entendre prononcer son nom sans vous courroucer…

— Certes, je lui veux du mal, — reprit le docteur de la loi ; — et c’est justice, car ce Nazaréen, qui ne respecte rien, non-seulement m’a insulté, moi, personnellement, mais encore il a insulté tous mes confrères du sénat en ma personne… Car, enfin, savez-vous, l’autre jour, ce qu’il a osé dire sur la place du Temple, en me voyant passer ?…

— Voyons ces terribles paroles, seigneur Baruch…, — reprit Jeane en souriant. — Cela doit être affreux !…

— Affreux n’est pas assez… c’est abominable, monstrueux, qu’il faut dire ! — reprit le docteur de la loi. — Je passais donc l’autre jour sur la place du Temple ; je venais de dîner chez mon voisin Samuel… Je vois de loin un groupe de gueux en haillons, artisans, conducteurs de chameaux, loueurs d’ânes, femmes de mauvaise vie, enfants déguenillés, et autres gens de la plus dangereuse espèce ; ils écoutaient un jeune homme monté sur une pierre ; il pérorait de toutes ses forces… Soudain il me désigne du geste : tous ces vagabonds se retournent vers moi, et j’entends le Nazaréen dire à son entourage ;[1] : « Gardez-vous de ces docteurs de la loi, qui aiment à se promener avec de longues robes, à être salués sur la place publique, à avoir

  1. Tous les publicains et gens de mauvaise vie se tenaient auprès de lui (J.-C.) pour l’écouter. Les pharisiens et les docteurs de la loi murmuraient. « Cet homme, disaient-ils, reçoit des gens de mauvaise vie et mange avec eux ». (Évangile selon saint Luc, ch. XV, v. 1-2.)
    « Je vous dis, pharisiens, que ces publicains et ces femmes prostituées entreront plutôt que vous dans le royaume de Dieu. (Évangile selon saint Matthieu, chapitre XXI, v. 31)