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Malheur à moi ! malheur à mon pays ! César profite de mon stupide étonnement, saute à bas de mon cheval, appelle à son aide un gros de cavaliers numides qui accouraient à sa recherche, et, lorsque j’ai eu conscience de ma criminelle sottise, il n’était plus temps de la réparer… César s’était élancé sur le cheval d’un des cavaliers numides, tandis que les autres m’enveloppaient… Furieux d’avoir laissé échapper César, je me défends à outrance. Je reçois de nouvelles blessures et je vois tuer mon frère Mikaël à mes côtés… Ce malheur est le signal des autres. Jusqu’alors favorable à nos armes, la chance de la bataille tourne contre nous… César rallie ses légions ébranlées, un renfort considérable de troupes fraîches arrive à son secours, et nous sommes repoussés en désordre sur notre réserve, où se trouvaient nos chariots de guerre, nos blessés, nos femmes et nos enfants… Entraîné par le flot des combattants, j’arrive près des chars de guerre, heureux, dans notre défaite, d’être du moins rapproché de ma mère et des miens, et de pouvoir les défendre, s’il m’en restait la force, car le sang qui coulait de mes blessures m’affaiblissait de plus en plus. Hélas ! les dieux m’avaient condamné à une horrible épreuve ; maintenant je peux dire comme disaient mon frère Albinik et sa femme, morts tous deux dans l’attaque des galères romaines, en combattant sur mer comme nous combattions sur terre pour la liberté de notre pauvre patrie : « — Nul n’avait vu, nul ne verra désormais le spectacle épouvantable auquel j’ai assisté… »

Refoulés vers les chariots, toujours combattant, attaqués à la fois par les cavaliers numides, par les légionnaires de l’infanterie et par les archers crétois, nous cédions le terrain pas à pas. Déjà j’entendais les mugissements des taureaux, le bruit éclatant des nombreuses clochettes d’airain qui garnissent leur joug, les aboiements des dogues de guerre, encore enchaînés autour des chars. Ménageant mes forces défaillantes, je ne cherche plus à combattre, mais à me diriger vers l’endroit où ma famille se trouvait en danger. Soudain, mon cheval, déjà blessé, reçoit au flanc un coup mortel, s’abat, roule sur moi ;