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de la Gauloise étendue vers l’épée, et lui dit d’une voix altérée :

— Pas cette épée… Non… non… pas cette épée…

Et, de son œil unique, il tâcha de se faire comprendre de la courtisane ; mais celle-ci, préoccupée d’une autre pensée, ne remarqua pas les signes du gladiateur et se tourna du côté de la galerie où se trouvait Diavole. Alors, le saluant du geste et du regard, elle arracha une des légères plumes bleues de son casque d’argent, la prit entre ses deux doigts, approcha cette plume de ses lèvres roses, puis d’un souffle gracieux la lança en direction de la galerie, en disant à haute voix :

— À toi, beau Diavole !

Ensuite elle jeta à la dérobée un regard vers son frère.

Sylvest comprit alors, en frémissant, que sa sœur donnait à Diavole les arrhes d’un marché infâme, dont sa liberté, à lui, serait le prix ; car, ainsi que l’avait dit Siomara, tout maître, jusqu’au dernier moment, pouvait arracher son esclave au supplice… Faustine tuée, la belle courtisane irait, pendant le combat de Mont-Liban et de Bibrix, demander à Diavole la liberté pour Sylvest… Elle obtiendrait cette grâce par une promesse honteuse, et l’on reviendrait retirer du souterrain le condamné.

Pendant que l’esclave se désespérait à cette pensée, il préférait la mort à une telle délivrance, tous les regards se tournaient vers Diavole, un murmure d’envie avait circulé parmi les jeunes seigneurs à l’appel provoquant de la belle Gauloise, jusqu’alors dédaigneuse de tous les hommages. Diavole était devenu, ainsi que la plupart de ses compagnons de table, d’une pâleur verdâtre… Mais, soit qu’il n’éprouvât pas encore les atteintes du poison, soit qu’enivré d’orgueil par la flatteuse provocation de la célèbre courtisane, il oubliât les premiers ressentiments de la douleur, il se pencha radieux au-dessus de la balustrade, jeta dans l’arène le bouquet de roses qu’il tenait à la main, après l’avoir passionnément pressé de ses lèvres, et s’écria :

— Victoire et amour à la belle Gauloise !