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— Elle vit, elle habite Orange depuis peu… On la connaît sous le nom de la belle Gauloise ! Et pour comble, ce matin, mon maître m’a dit qu’il était amoureux de cette courtisane…

— Ton maître ? le seigneur Diavole ?

— Oui… juge de mon anxiété, maintenant que je sais qu’il s’agit de ma sœur… Faut-il bénir ce jour où je retrouve la compagne de mon enfance… cette sœur si souvent pleurée… tu le sais, Loyse… cette sœur, à qui ma mère Hénory avait donné le nom de notre aïeule Siomara, la fière et chaste Gauloise ?… Faut-il le maudire ce jour où j’apprends l’infamie de ma sœur… courtisane ?… Oh ! honte et douleur sur moi ! Oh ! honte et mépris sur elle !…

— Hélas !… arrachée toute enfant à ses parents, vendue, m’as-tu dit, à des infâmes… elle était belle et esclave !… et la beauté, dans l’esclavage c’est l’opprobre… c’est l’asservissement aux débauches du maître… La mort seule peut vous y soustraire…

— Tiens, Loyse… tu ne sais pas une des plus affreuses pensées qui me soient venues pendant cette nuit d’horreurs !… Je me disais en voyant ces malheureuses jeunes filles, esclaves comme toi, belles comme toi…

— Belles comme moi ! — répondit la jeune femme avec un accent singulier et un soupir étouffé ; — belles comme moi !…

— Non, — reprit Sylvest après avoir remarqué l’expression de la voix de sa femme ; — non, moins belles que toi, Loyse !… car elles n’ont plus, comme toi, cette beauté céleste pure de toute souillure !… Aussi, cette nuit, les voyant si jeunes et déjà si profondément corrompues par l’esclavage et par la terreur des supplices, je me disais : Si Loyse, au lieu d’avoir toujours été, par la bénédiction des Dieux, reléguée loin des regards de sa maîtresse infâme et de ses affranchis, était tombée sous leurs yeux, peut-être ce soir, dans cette orgie infernale, je l’aurais vue… elle aussi…

Mais, frissonnant à ce souvenir et à cette crainte, Sylvest, s’aper-