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Ta prophétie s’est accomplie… et aussi s’accomplira la mienne… Fils de Joël… JE PROPHÉTISE LA RÉPUBLIQUE UNIVERSELLE !!

Les témoins de cette scène imposante, entraînés, transportés par la parole inspirée de Victoria, trompés par l’éclat éphémère de son regard, par la surexcitation fiévreuse où elle puisait un suprême élan d’énergie, oubliaient, hélas ! comme elle l’oubliait elle-même, qu’elle agonisait, et que, anéantie par un dernier effort de vitalité factice, elle allait quitter ce monde-ci pour aller renaître dans une autre sphère ! Il en fut ainsi. À peine a-t-elle prononcé ces paroles : Je prophétise la république universelle, que, saisie d’une faiblesse soudaine, Victoria, les yeux demi-clos, le visage livide et trempé d’une sueur glacée, s’affaisse entre les bras de son frère, murmure quelques mots inintelligibles et, après un instant d’agonie, elle sort de cette vie-ci, pour aller continuer de vivre en ces mondes mystérieux dont nul n’est revenu et où tous nous irons !

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L’armée devait se mettre en marche au point du jour. Jean Lebrenn et Castillon creusèrent à l’aube, sur les hauteurs de Geisberg une fosse destinée à Victoria. Elle y fut conduite sur un brancard porté par le capitaine Martin, Castillon, Duchemin et Olivier. Jean Lebrenn, grièvement blessé, suivait le deuil de sa sœur, appuyé au bras du jeune volontaire Duresnel. La neige tombait, la fosse de Victoria disparut bientôt sous le blanc linceul qui couvrait les hauteurs de Geisberg au moment où l’armée quitta ses bivacs pour marcher sur les lignes de Wissembourg, qui pouvaient encore être défendues par l’armée autrichienne ; mais abandonnant ses retranchements pendant la nuit, elle évacua Wissembourg.

Hoche écrivit le même jour cette dépêche à Bouchotte, ministre de la guerre :

« Wissembourg, le 7 nivose (27 décembre) an II.

» Pressé par les ordres à donner et la surveillance qui doit suivre une victoire, je n’ai pu t’écrire hier soir ; mais à coup sur tu connais par la lettre que j’ai écrite au comité de salut public ce qui s’est passé hier.

» Je suis entré ce matin dans Wissembourg, où j’ai fait ramasser beaucoup de prisonniers, beaucoup de malades, une infinité d’armes de toute espèce, etc. Les riches habitants de cette ville ont accompagné les ennemis dans leur fuite. Bon voyage ! Nous aurons leurs biens. Ces vils scélérats ne méritent aucune commisération.