Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/375

Cette page n’a pas encore été corrigée

de cette avenue s’élevait une maison en construction et de l’aspect le plus innocent du monde, vous saurez tout à l’heure le pourquoi de cette observation. Charras divise sa petite colonne en trois corps d’attaque, prend le commandement du premier ; ses camarades de l’École, Vanneau, Lacroix et Donorier, conduisent les autres assaillants ; les tambours battent la charge, et en avant ! Je faisais partie de la colonne de Charras. Nous nous engageons dans l’avenue ; mais soudain, de cette maison en construction et d’un aspect fort innocent, part une fusillade supérieurement nourrie, qui, à trente pas, nous prend en flanc ; le tiers de nos hommes tombe roide, et le reste, et moi des premiers, abasourdis par cette attaque imprévue, et en proie à une panique invincible, nous prenons, je vous l’ai dit, nos jambes à notre cou ; et Charras de courir après nous, nous criant d’un accent parfaitement convaincu : — Mais revenez donc, mes amis, ça n’est rien du tout !

MARTIN, riant. — Le mot est charmant !

DURESNEL. — D’autant plus charmant, que, sur environ cent hommes, il en était tombé une trentaine. Et ce diable de Charras de nous poursuivre de ces cris : — Mais ça n’est rien du tout ! revenez donc ! Enfin, il nous rejoint, nous rallie hors de la portée du feu, demande de bons tireurs, s’il y en a parmi nous. Je tire passablement ; il se trouvait avec nous quelques anciens soldats et plusieurs jeunes gens de l’École de droit, bons chasseurs. Charras nous fait filer et nous embusque derrière les gros arbres de l’avenue, qui faisaient face à la maison en construction ; et nous éteignons à peu près le feu de l’ennemi ; alors Charras, mettant son chapeau à la pointe de son épée, nous crie : En avant, les amis ! Et suivi d’un ouvrier corroyeur, nommé Bernard, qui portait un drapeau, il s’élance à l’assaut de la maison ; nous le suivons ; et les Suisses, débusqués après une vive résistance, se replient vers la caserne, attaquée déjà par les colonnes commandées par les autres élèves de l’École. Au moment où nous les rallions pour les soutenir, et le feu était, je vous l’affirme, effrayant, Vanneau est tué, Lacroix a la cuisse cassée, et Donorier reçoit une balle en pleine poitrine ; Charras continue l’attaque ; nous perdions énormément de monde, combattant à découvert contre des ennemis retranchés, lorsque Charras, s’adressant à ceux qui l’entouraient, leur demande avec un sang-froid inouï : Y a-t-il quelqu’un du quartier ici, qui connaisse un grainetier ? — Cette demande d’un grainetier au milieu d’un feu d’enfer paraît phénoménale ; cependant l’un de nos